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Conclusion générale - Cinq années écoulées : un esprit de l'open à la dérive ?

Cinq années se sont écoulées depuis le « western scientifique » international décrit en introduction. L'occasion d'une rétrospective avec deux évolutions parallèles : - les réflexions de l'auteur sur l'open et son positionnement ; - le paysage de l'open et ses dérives marchandes

Published onAug 15, 2019
Conclusion générale - Cinq années écoulées : un esprit de l'open à la dérive ?
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Cinq années se sont écoulées depuis le « western scientifique » international accompagné du huis clos 2.0 français #MSWGate décrits dans l’introduction générale. Ces années ont été associées à deux évolutions parallèles : celle de l’intégration des discours sur l’open au sein de l’esprit du régime des savoirs en constitution en France et celle de la transformation de mes propres conceptions sur l’open au fur et à mesure de mon doctorat.

Énaction et doctorat : posture de recherche, posture éthique, posture de vie

Entre la fondation de HackYourPhd en 2014 et aujourd’hui (2018), les années de recherche doctorale ont provoqué une profonde déconstruction de mes propres certitudes sur l’open science, sur l’open et sur ‘la Science’ distinctement. Mon sujet a été en effet une plongée dans la diversité des façons de concevoir le régime français des savoirs et une prise de recul sur les enjeux qui traversent aujourd’hui les sphères institutionnelles et non institutionnelles de la production des savoirs. La thèse m’a donnée, avec quelques années de retard, des éléments de compréhension sur la raison des divergences d’opinion lors du #MSWGate. La consultation République numérique, comme moment cristallisateur de tensions, a quant à elle été une épreuve de réalité « équipée » clef pour analyser en finesse les diverses conceptions mais aussi ouvrir mes questionnements à des problématiques sociopolitiques plus générales. J’ai ainsi mieux compris les débats actuels sur le ‘numérique’ et quelques-uns des enjeux de société qu’ils représentent (économiques, politiques, démocratiques, etc.). La description dans ma thèse d’un esprit actuel en constitution du régime des savoirs entremêlant deux logiques principales (techno-industrielle et processuelle) m’a aidée et m’aide encore aujourd’hui à analyser et à mieux comprendre les débats actuels sur l’open et le ‘numérique’. L’évolution de mon regard a participé à l’élaboration d’une posture de recherche que je peux présenter en cette fin de thèse et qui dépasse les seules considérations épistémologiques ou méthodologiques pour inclure également mon engagement au sein des milieux militants pour « le libre » et les communs.

Durant mon doctorat, pour mener mon analyse à bien, je me suis tenue à une posture de recherche basée sur une approche compréhensive. J’ai rappelé ce point en introduction de la deuxième partie, en mentionnant qu’en début de thèse, il avait été majeur au vu de mon engagement initial pour l’open science, de procéder à une prise de recul. J’ai ainsi noté la « dés-immersion » initiale de début de thèse de mes propres conceptions de l’open, qui s’était accompagnée d’une double immersion dans mon terrain de recherche, mais aussi dans le milieu académique en SHS en prenant le statut de doctorante. J’ai tâché, tout au long du doctorat, dans une approche compréhensive, de me positionner en tant qu’observatrice du phénomène à l’étude tout en ayant conscience et en admettant la propre nature située et incarnée de mes observations, d’où l’importance donnée à la réflexivité (cf. introduction partie deux).

Les quatre années d’immersion, lors du doctorat et au sein des sphères que je côtoyais auparavant (recherche publique, personnes engagées dans la défense des communs et de l’open science), se sont accompagnées également d’un processus d’énaction. Dans son article sur l’évolution de la posture de recherche des praticiens-chercheurs, Catherine De Lavergne[1] a déjà mobilisé ce concept théorique issu des sciences cognitives. Elle décrit comment les praticien.ne.s-chercheur.e.s au contact de plusieurs sphères (recherche, professionnelle), qu’ils ou qu’elles côtoient auparavant, ont besoin de « reconstruire une nouvelle identité en faisant fond sur [elles/eux mêmes] »[2]. C’est cette posture de recherche en fin de doctorat que je souhaite partager désormais. Plus qu’une énaction, pour filer le jeu de mot, je pourrais parler d’une « en-hack-tion » car il a été question, avec l’expérience du doctorat, d’une évolution de ma posture de recherche tout autant que de ma posture de personne engagée dans l’open science avec HackYourPhD. Dans ces « mots de la fin », je fais entendre la voix de la doctorante désormais en fin de parcours, nourrie des connaissances acquises lors de ces quatre (longues !) années. Le doctorat a participé ainsi à forger ou plutôt à affiner ma propre conception de l’open et de « ce que devrait être » le régime contemporain des savoirs. Cela m’amène à formuler quelques points de vigilance quant aux orientations actuelles et « dérives » d’un esprit du régime français des savoirs, qui intègre dans ses propos la nouvelle grammaire de l’open. Les remarques s’adressent tout aussi bien aux personnes associées au milieu de la recherche et de l’enseignement supérieur qu’à toute personne confrontée aux transformations numériques dans ses activités quotidiennes. L’emploi du terme « dérives » à la connotation négative rejoint le positionnement éthique et critique sur les évolutions du ‘numérique’ que je porte ici en considérant les évolutions du libéralisme sous sa forme informationnelle.

Huis clos 2.0 à la française et « western scientifique » à l’ère numérique : où en sommes-nous ?

L’analyse présentée dans ma thèse s’est appuyée sur un corpus constitué d’éléments aidant à la compréhension des débats concernant l’article 9 proposé lors de la consultation République numérique. Une partie des échanges a concerné la question de l’adaptation du régime technoindustriel-marchand des savoirs au sein des milieux institutionnels de la recherche publique en France. Pour les acteurs institutionnels de la recherche publique, l’open en sciences représente désormais à l’échelle nationale et européenne un élément important des politiques de recherche pour se positionner dans un « marché unique numérique » (digital single market) de la connaissance[3]. J’ai montré notamment comment l’open et l’adaptation aux outils numériques étaient un moyen pour les organismes publics de reprendre la main sur les infrastructures de gestion, de traitement et de diffusion des ressources scientifiques (publications mais aussi données de la recherche aujourd’hui), mais cela tout en restant dans un contexte néolibéral. L’open devient ainsi petit à petit une nouvelle grammaire au sein de l’esprit actuel du régime français des savoirs, ce qui en fait une thématique au cœur des orientations politiques actuelles en 2018[4].

En France : une science ouverte institutionnalisée mais des scènes en huis clos toujours présentes

Suite à la consultation République numérique et après plusieurs étapes législatives, la loi pour une République numérique a été promulguée le 7 octobre 2016[5]. L’article 9 est devenu dans la version définitive l’article 30[6]. Après la promulgation de « ce qu’il en est de ce qui est », la question s’est posée du respect en France de l’article 30. La thématique de la « science ouverte » et de l’‘accèsouvert’ est devenue un élément important des politiques publiques, comme le souligne la désignation d’un conseiller scientifique pour la science ouverte en juillet 2017. On peut noter la traduction d’open science à science ouverte en français, et d’open access à ‘accès ouvert’ et non plus de ‘libre accès’. En mars 2018, un appel à manifestation d’intérêt a été lancé pour désigner les membres d’un comité pour la science ouverte au sein du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’innovation. L’appel ne s’est pas fait sans réaction de la part d’autres parties prenantes et donne à voir des scènes en huis clos toujours présentes. Cette fois-ci, les points d’achoppement ne concernent plus la définition de l’open access mais de la « science ouverte ». Le suivi des échanges que j’ai pu en faire,est venu confirmer les résultats de mon analyse. Les discours sur l’open s’ancrent d’une part dans une logique civique-technoindustrielle portée majoritairement par les acteurs institutionnels de la recherche publique et leurs nouveaux représentants « entrepreneuriaux » au sein d’un réseau d’acteurs à l’échelle française et européenne principalement[7]. D’autre part, l’open fait écho à une logique processuelle, où des collectifs souhaitent la prise en considération d’autres acteurs (société civile, etc.) dans la mise en œuvre de la « science ouverte ».


Quelques éléments plus récents - Les débats sur l’instauration d’un comité pour la science ouverte : confirmation de la distinction entre la conception d’un régime civique-technoindustriel et un régime processuel des savoirs au sein de l’open

Le 8 mars 2018, le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a lancé un nouvel appel à manifestation d’intérêt pour l’évolution du dispositif de la Bibliothèque science numérique en un comité pour la science ouverte (CoSo)[8]. Cet appel à manifestation d’intérêt visait à désigner les membres du comité pour définir la politique d’une science ouverte et d’en assurer le développement à l’échelle nationale et internationale.

Cette initiative est venue confirmer les propos présentés dans ma thèse avec les contours d’un nouvel esprit où l’open constitue un élément central de la grammaire employée pour justifier l’engagement des chercheurs dans la production des savoirs aujourd’hui, mais tout en restant attaché à une conception d’un régime civique-technoindustriel des savoirs.

L’appel à manifestation rend compte également du déplacement des enjeux des articles scientifiques vers ceux de la gestion de l’ouverture des données et de leur régulation économique en tant que nouvelle ressource à exploiter. L’appel à manifestation d’intérêt a notamment donné lieu à une réponse de la part de l’ALLIIS (Alliance sciences société) pour « prendre la société de la connaissance au sérieux » et ouvrir les sciences au « tiers état de la recherche » soit les organisations de la société civile non industrielles, les associations, les collectivités[9].

J’ai suivi les échanges par le biais de l’association HackYourPD, qui est signataire de la lettre ouverte rédigée par l’ALLIIS. Quelques éléments du compte rendu de la rencontre avec les membres du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, suite à l’envoi de la lettre, m’ont confirmé l’emploi du terme de « processuel » et l’orientation actuelle de la science ouverte au sein de la recherche publique institutionnelle. En effet, dans un email récapitulatif de la rencontre avec le cabinet du ministère de l’Enseignement supérieur, il a été noté que la constitution d’un comité de la science ouverte (CoSo) concerne les seuls organismes publics et exclut « une définition large de l’Open Science (c’est-à-dire ouvert aux processus de production de connaissances) »[10]. La mention de « processus de production de connaissances »[11] est venue étayer mon choix du terme de logique processuelle sous-tendant une des conceptions de l’open.

Cela montre aussi qu’aujourd’hui la science ouverte institutionnelle qui se dessine se limite principalement aux enjeux de l’ouverture des données et des publications au sein des organismes publics, d’où le développement d’un plan de formation pour venir apprendre « ces bonnes pratiques » aux professionnel.le.s de la recherche.


Lors des échanges sur l’article 9, la conception d’un régime processuel des savoirs s’est néanmoins faite entendre par la voix de nouveaux collectifs et figures institutionnelles telles que le Conseil national du numérique (cf. chapitre huit). J’ai associé la perspective civique-processuelle à une des formes du libéralisme informationnel, soit la gouvernance processuelle (cf. 8-1). Or, deux autres idéaux-types associés au libéralisme informationnel proposés par Loveluck, soit l’ordonnancement algorithmique et la diffusion radicale, n’ont été qu’effleurés dans le corps de mon analyse. Ces deux autres modèles ne sont que peu soulignés dans les échanges publics sur l’article 9 lors du projet de loi République numérique. Cela ne veut pas dire néanmoins qu’ils n’ont pas toute leur importance aujourd’hui au sein du régime contemporain des savoirs. Ils sont mêmes au cœur des pratiques des producteurs et des productrices des savoirs et sont représentatifs de nouveaux modèles marchands dans ce « western scientifique » moderne à l’échelle internationale.

Panorama d’un « western scientifique » numérique actuel : des inégalités de l’accès aux savoirs à la nouvelle main d’œuvre des data scientists.

J’aborde ces éléments en conclusion car les propos s’appuient sur des observations issues de mes propres pratiques de recherche, ou bien d’échanges avec divers étudiant.e.s, scientifiques, data scientists, ingénieur.e.s, entrepreneurs, etc. rencontré.e.s tout au long de ces dernières années. Ces observations quittent le cas d’étude spécifique des évolutions de l’esprit du régime français des savoirs pour intégrer des réflexions sur un contexte plus international. J’ai en effet eu l’occasion de suivre en parallèle de mon doctorat l’évolution des initiatives open science que j’avais commencé à suivre avec HackYourPhD (conférence OpenCon[12], projets du Mozilla Science Lab[13], initiatives au sein du laboratoire collectif la Paillasse[14]). J’emploie bien, ici, le terme open science (et non plus l’expression « open en sciences »), car ces initiatives se situent principalement dans la défense d’une logique processuelle. L’open science représente, dans ce cas, un ensemble de pratiques de recherche ouverte, avec la mise en place de plateformes et de standards ouverts pour partager et manipuler des data, dans une visée de reproductibilité de la recherche et d’efficacité de production des connaissances.

J’ai noté ces observations dans mon carnet de recherche, mais je ne les ai pas intégrées au sein de mon corpus, car elles n’ont pas fait l’objet de la même analyse qualitative systématique effectuée (démarche par théorisation ancrée) sur le cas d’étude du projet de loi pour une République numérique. Je souhaitais néanmoins les partager en tant que co-fondatrice et présidente de l’association HackYourPhD. Les remarques suivantes font en effet écho à un des objectifs de l’association qui est de « faire connaître le mouvement de la Science Ouverte et ses évolutions. »[15]. Les propos partagés, dans cette fin de chapitre conclusif, ont aussi pour but d’ouvrir des pistes de réflexions collectives futures à étoffer au sein de HackYourPhD.

Par la suite, je vais prendre l’exemple de quelques pratiques usuelles pour accéder à une publication scientifique en ligne. Je souhaite détailler ces pratiques, car elles sont représentatives de la mise en place de nouvelles formes de libéralisme informationnel qui posent, outre des enjeux économiques, des questionnements épistémologiques et politiques sur la nature des savoirs accessibles sur le Web.

Accès « classique » via le portail des bibliothèques universitaires : des publications encore loin d’être en open access

Actuellement, lorsqu’on effectue des recherches bibliographiques pour accéder à des publications scientifiques en ligne, plusieurs options sont possibles[16]. Pour trouver une publication scientifique, on peut se rendre sur le portail numérique de sa bibliothèque (pour les étudiant.e.s et membres rattaché.e.s à des instituts universitaires ou de recherche), et effectuer une requête. Dans ce cas, les recherches donnent souvent accès aux notices des articles et des livres répertoriés dans des bases de données. Mais aujourd’hui encore en 2018, l’accès aux publications est encore bien loin d’être en open access. Les murs payants représentent bel et bien une réalité et je l’ai personnellement vécue tout au long de mon doctorat. Pour accéder aux articles souhaités, j’avais bien conscience de la nécessité de rentrer à chaque fois mon identifiant et mon mot de passe (donnés lors de mon inscription à l’université). Parfois, même de cette manière, je n’avais pas forcément accès à l’article souhaité si mon université n’avait pas payé un abonnement pour le journal ou la revue en question[17]. Ce dernier point soulève déjà la question des inégalités de financements des universités (et des frais d’inscription) au sein d’un pays mais également à l’échelle internationale.


Quelques mots sur une conception de la science ouverte bien peu représentée en France : pour une science ouverte juste, au service du développement local durable

La question des inégalités d’accès aux savoirs entre différents pays est soulevée par exemple dans les travaux de Piron et du réseau SOHA (Science ouverte en Afrique francophone et en Haïti)[18]. Outre les inégalités d’accès à Internet et aux publications scientifiques, la science ouverte et le ‘libre accès’ défendus dans cette perspective invite à dépasser nos propres oeillères de personnes européennes ou anglo-saxonnes, pour réfléchir à la pluralité des savoirs et des épistémologies notamment des Suds. L’ouverture dans cette perspective est conceptualisée en tant qu’outil de justice cognitive afin de favoriser un développement durable local[19].


Or lorsque la priorité première est d’accéder à un article, d’autres moyens sont possibles pour dépasser les murs payants. Si une copie numérique existe, il est souvent possible d’une manière ou d’une autre d’y accéder, mais cela rend parfois moins attentif à la provenance des ressources et aux caractéristiques des dispositifs qui nous y donnent accès. Et je suis la première à tenter de trouver en ligne le pdf d’un livre ou d’un article sans avoir à payer les murs payants imposés par les éditeurs, lorsque ma priorité est de lire un contenu pour répondre à mes questionnements de recherche.

Je vais donner par la suite trois exemples employés aujourd’hui dans les recherches bibliographiques et le téléchargement du contenu complet[20] d’une ressource. Avec ces trois exemples (moteurs de recherche avec Google Scholar, réseaux sociaux académiques privés et plateforme pirate Sci-Hub), je souhaite fournir quelques points de vigilance sur l’influence de l’usage des dispositifs en revenant sur les deux idéaux-types proposés par Loveluck et les modèles économiques marchands associés. L’exemple de Google/ Google Scholar et des réseaux sociaux académiques sont à associer entre autres à l’ordonnancement algorithmique. Le modèle de Sci-Hub fait référence quant à lui à la diffusion radicale.

Moteurs de recherche et réseaux sociaux académiques : enjeux computationnels marchands et homogénéisation épistémologique

Les moteurs de recherche Google ou bien Google Scholar sont fréquemment utilisés (au grand désespoir parfois des bibliothécaires)[21]. Or les moteurs de recherche s’inscrivent dans un modèle économique de la captation reposant sur des procédés algorithmiques de tri de l’information et d’orientation de notre attention sur quelques ressources en particulier[22].

Lorsqu’on cherche un article sur Google scholar aujourd’hui, les pages de résultats de recherche donnent accès à un certain nombre de liens hypertextes ordonnés. Une des fonctionnalités pratiques de Google Scholar concerne la possibilité d’accéder directement au lien vers le pdf de l’article en entier s’il est disponible. Ce paramètre est notamment pris en compte dans le classement des résultats de la requête. L’algorithme de tri tout comme le PageRank général de Google n’est pas connu[23] . En plus de l’accès à l’article complet, les autres paramètres de tri pris en compte sont la date de publication, l’auteur et le nombre de citations du document dans la littérature[24]. Dans ce sens, le tri se fait de plus en plus sur des mécanismes de mise en visibilité d’un contenu en open access, en prenant moins en considération la source du document (par exemple s’il a été publié dans une revue classé de « rang A » ou bien s’il s’agit d’un article préparé en vue d’une conférence). La popularité d’un.e chercheur.e, notamment avec le h-index, se mesure au nombre de citations des articles publiés sur le Web et non plus sur des bases de données bibliométriques. On voit là apparaître des enjeux d’évaluation des savoirs scientifiques, qui dépassent le cadre professionnel de la recherche. L’évaluation d’une ressource ne dépend plus seulement des mesures d’impact « classiques » développées par les sphères de la scientométrie. Elle inclue désormais les producteurs des savoirs académiques, mais aussi tout internaute qui cite ou télécharge une ressource en ligne indexée par Google Scholar[25]. Bien loin de dépasser les problématiques de l’évaluation quantitative de la recherche, il s’agit ici plutôt d’un déplacement des modes d’évaluation où l’importance du capital symbolique à acquérir dans un milieu néolibéral compétitif est amplifiée. Même si le classement des revues reste un facteur prépondérant dévaluation et de sélection dans le milieu professionnel de la recherche publique, d’autres mesures de reconnaissance s’y associent avec ce que l’on nomme les métriques alternatives (altmetrics) (citations sur Twitter, Facebook, nombres de téléchargement d’un article)[26]. En plus d’un questionnement sur le « marketing de soi »[27] nécessaire à réaliser lorsqu’on est un ou une scientifique, le modèle de Google Scholar amène à se questionner également sur le renforcement d’une homogénéisation des savoirs, à l’image des débats sur les bulles de filtres et d’opinion sur le Web.

Si Google Scholar est un exemple de l’insertion d’un des géants d’Internet en sciences, que l’on associe usuellement aux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), d’autres plateformes telles que les réseaux sociaux académiques sont également représentatives de l’intégration de nouveaux modèles marchands au sein des milieux professionnels de la production des savoirs. Les réseaux sociaux académiques en ligne, plus qu’une nouveauté, représentent une matérialisation de l’idéal académique (cf. chapitre sept) basé sur la reconnaissance symbolique par les pairs, et qui repose aujourd’hui sur la nécessité d’être visible. En effet, en plus d’une injonction à publier dans des revues classées de « rang A », c’est-à-dire les revues prestigieuses à comité de lecture par les pairs, les chercheur.e.s doivent également prendre soin de leur réputation en ligne pour mettre en avant leur publication dans la communauté de recherche à laquelle ils ou elles appartiennent. Communiquer sur ses recherches de façon claire et rapide devient une compétence à acquérir, notamment pour les doctorant.e.s.[28].

Les réseaux sociaux scientifiques sont aussi employés comme espace de dépôt de publications (tout comme Google Drive ou DropBox). En 2018, lorsqu’on effectue une recherche sur Google ou Google Scholar, les premiers résultats de la requête sont souvent les articles répertoriés sur de telles plateformes privées tels que ResearchGate[29] ou Academia[30].

Ces entreprises, dont MyScienceWork fait également partie, ont commencé à se développer dans les années 2010 (cf. 2-3-1). Les plateformes proposées offrent un espace aux chercheurs pour se présenter, mettre en ligne leur CV, mais aussi leurs articles et permettre à d’autres de les télécharger. On y retrouve, tout comme sur le site web de la consultation République numérique, une mise en avant du chiffre avec par exemple le nombre de vues (views) calculé pour chaque publication disponible sur le site. De plus, des analytics, que l’on peut traduire en français par mesures d’audience sur ces plateformes, sont proposées pour les inscrit.e.s afin d’avoir accès via un tableau de bord personnel au nombre de visites sur leur profil ou bien de téléchargements sur leurs articles. Les réseaux sociaux scientifiques constituent, en ce sens, un espace de visibilité pour les chercheur.e.s qui est représentatif d’un « marketing de soi »[31] jugé comme nécessaire pour être reconnu au sein du milieu académique aujourd’hui. Les arguments de vente des plateformes sont orientés vers une plus grande reconnaissance et un contrôle de la visibilité des travaux des chercheur.e.s. Sur la page d’accueil de ResearchGate en juin 2018, on peut ainsi lire la phrase “Want to see who’s reading your work on ResearchGate?[32] avec le défilement du nombre de publications présentes sur ReseachGate et le nombre de lectures effectuées dans la dernière heure (cf. figure 22)[33].

Figure 22 - Capture d’écran de la page d’accueil du réseau social scientifique ResearchGate (juin 2018).

Les plateformes proposent un modèle économique, à l’image des deux facettes de l’open. Dans une logique techno-industrielle, l’inscription est free, à comprendre au sens de gratuit[34]. L’open dans ce sens est réduit à la simple gratuité de pouvoir s’inscrire sur une plateforme, puisque la plupart du temps l’accès aux articles complets nécessite désormais un abonnement premium. Sur le site Academia par exemple, le bouton upgrade account (que l’on pourrait traduire par : mettre à niveau son compte) propose d’offrir plus de fonctionnalités et de visibilité sur ses actions[35]. Les modèles s’ancrent également sur la vente de nouveaux services dont le but est de jouer sur la dimension télécommunicationnelle des technologies en réseaux. Il n’est plus question seulement de payer un accès à l’information mais également de payer pour rendre visible l’information. À cela s’ajoute la nouvelle dimension computationnelle des technologies, où les data deviennent la nouvelle ressource analysable afin de savoir comment se comporter dans un réseau. MyScienceWork, dans ce sens, a fait évoluer son discours et son modèle économique qui repose désormais sur l’analyse des données. Son site web en juin 2018 annonce désormais, sur sa page d’accueil, une technologie offrant « une solution orientée sur les données pour analyser du contenu scientifique, accélérer l’innovation et orienter les décisions stratégies en recherche » [traduction libre][36]. La place prise par les data est caractéristique des nouveaux modèles économiques technoindustriels, qui intègrent la nouvelle dimension computationnelle des technologies numériques avec ce qui est désigné comme une approche data-driven (traduction libre : guidée par les données).

Mais en plus de cette logique technoindustrielle-marchande mise au goût du jour avec l’analyse possible de nombreuses data disponibles sur les plateformes, les modèles économiques s’appuient aussi sur les nouveaux ressorts marchands associés à la logique processuelle. Dans ce cas, les personnes inscrites sur les plateformes et les actions qu’elles y mènent deviennent le nouvel élément-clef de valorisation économique. Les modèles reposent sur la captation de l’attention et l’orientation des comportements des utilisateurs et utilisatrices. L’ensemble des actions réalisées par les personnes inscrites sur les réseaux sociaux scientifiques (dépôt d’un article, mise à jour des publications) participent à un effet-réseau. Les plateformes deviennent de nouveaux intermédiaires incontournables pour se tenir au courant des dernières avancées scientifiques de son domaine ou bien des articles publiés par d’autres équipes de recherche. Des courriels sont par exemple envoyés afin d’indiquer qu’un article ou bien des appels à projets et des subventions dans notre discipline sont accessibles à la lecture sur le réseau social. Le ciblage des informations est lié aux informations de profil complétées lors de l’inscription, ou bien juste par la mention de son nom. Les figures 23 et 24 présentent des e-mails reçus d’Academia pour illustrer ces propos.

Figure 23 - Capture d’écran d’un e-mail reçu en août 2018 par Academia mentionnant le nombre de bourses d’étude et de subventions disponibles à la lecture sur Academia. Le ciblage en SHS est dû aux informations disciplinaires complétées sur mon profil.

Figure 24 - Capture d’écran du site Academia (juillet 2018) proposant leur offre premium. Le nombre de trois article (papers) est associé à une recherche effectuée avec mon nom sur le web et sur Academia, comme le mentionne la phrase : “We search for “Célya Gruson-Daniel”, “Gruson-Daniel Célya”, and 2 other variants of your name in 21 million papers, books, drafts, theses, and syllabi on Academia, and around the web.” Cet extrait illustre à la fois les mécanismes d’injonction à la visibilité et au service, qui se fondent sur des requêtes ciblées sur le web et la plateforme pour orienter la publicité proposée.

Ce phénomène rejoint les dynamiques d’enclosure où de nouveaux intermédiaires viennent empêcher la circulation d’une ressource, au départ libre, de circuler sur le Web. Ces plateformes, certes, sont en réseau mais elles représentent néanmoins un silo puisqu’elles sont détenues par un organisme en particulier et proposent de consulter la plupart du temps les contenus disponibles sur la plateforme (avec option premium à la clef). Une plateforme détient ainsi à la fois des contenus sur son serveur mais aussi les données de navigation de ses inscrit.e.s.

L’exemple détaillé des réseaux sociaux scientifiques montre comment aujourd’hui les modèles économiques et les deux logiques (techno-industrielle et processuelle) s’entremêlent avec comme clef de voûte les data. Les data sont une ressource qui fait l’objet de vente de services d’analyse pour des entreprises ou des particuliers (techno-industriel-marchand). Elles sont aussi à la base d’une optimisation marchande du comportement des personnes inscrites sur la plateforme basée sur des procédés algorithmiques (processuel-marchand) [37]. Les data en tant que « traces » de processus d’actions « nourrissent » des algorithmes, qui influencent en retour le potentiel des actions possibles.[38].

Avec les réseaux sociaux scientifiques, les mécanismes de captation n’échappent pas aux milieux académiques et posent la question de l’influence d’une gouvernementalité algorithmique (cf. 8-3-2) au sein de ‘la Science’. Quels sont ces processus algorithmiques et qui les maîtrise ? Poser cette question rejoint les remarques des défenseurs d’une « culture libre » pour la transparence et l’ouverture des « boîtes noires » afin de pouvoir exercer notamment un contre-pouvoir face aux plateformes. Qu’il s’agissent d’entreprises-plateformes ou bien ce que l’on appelle également un État-plateforme, l’accès aux données et au code source a pour visée de garantir un degré de liberté d’action et de maîtrise de l’usage des dispositifs. Cette demande de liberté prend entre autres la forme d’actions politiques et d’une diffusion radicale d’informations retenues par des barrières quelles qu’elles soient, par celles et ceux qui possèdent les compétences informatiques pour y accéder et les libérer.

Pour illustrer ce point, j’aimerais revenir sur un exemple caractéristique de la diffusion radicale[39], dernier idéal-type proposé par Loveluck, jusque là non abordé dans ma thèse. Je me base sur l’exemple de la plateforme pirate Sci-Hub. L’initiative vise à donner gratuitement accès aux articles scientifiques mêmes ceux derrière des murs payants En échappant à la fois aux éditeurs scientifiques « classiques » tout autant qu’aux réseaux sociaux scientifiques privés, le développement de Sci-Hub se love dans les capacités techniques de celles et ceux qui considèrent qu’une ressource, si elle existe sous format numérique, se doit de circuler malgré les barrières virtuelles qui peuvent lui être posées.

De l’importance des compétences techniques : du hack et de la diffusion radicale avec Sci-Hub aux nouveaux profils recherchés des data scientists

Lorsque l’on demande à un.e étudiant.e, la manière dont il ou elle a trouvé un article en 2017/2018, plusieurs vous répondront « avec Sci-Hub ». Le projet a été développé en 2016 afin d’avoir accès à des articles scientifiques du monde entier et cela au delà des murs payants (paywalls). Il est basé sur ce que l’on dénomme un web scraper, c’est-à-dire un algorithme qui va de façon automatique extraire des données d’une page web. À partir d’une référence scientifique (url, Digital Object Identifier (DOI), titre d’un article), Sci-Hub permet d’outrepasser les murs payants des éditeurs et de récupérer le contenu d’un article (souvent sous forme de pdf) puis de le mettre à disposition dans un répertoire hébergé sur un serveur. L’initiative a été initiée en 2011 par une étudiante Alexandra Elbakyan, qui est devenue la nouvelle icône d’une « science libre » et du profil du « hacker » à la suite d’Aaron Swartz (cf. chapitre neuf). Une étude parue dans Science en avril 2016[40] soulignait l’utilisation massive et mondiale de Sci-Hub notamment dans les pays des Suds, dont les chercheur.e.s n’ont pas accès aisément aux publications scientifiques. L’article de Science notait que sur 6 mois en 2016 plus de 28 millions de documents étaient disponibles sur Sci-Hub, avec plus de 3,4 millions de téléchargements en Inde et 4,4 millions en Chine[41]. Mon propos ici n’est pas de discuter en détail ces chiffres, mais plutôt de noter que Sci-Hub est un exemple-type de la diffusion radicale, décrit par Loveluck comme une des formes de libéralisme informationnel[42]. Sci-Hub a en effet pour but de faciliter la circulation de l’information en faisant fi des règles de la propriété intellectuelle et des contrats d’exclusivité de diffusion d’articles par des éditeurs. Même si le protocole technique derrière Sci-Hub ne se base pas que sur du pair à pair (peer to peer), l’initiative est représentative d’un contre-pouvoir possible, qui repose sur des capacités de hacking et de maîtrise technique informatique[43]. Sci-Hub est en ce sens l’image d’une utopie concrète s’appuyant sur l’agir technique et politique des hackers, se basant sur les caractéristiques d’Internet comme réseau des réseaux distribué et décentralisé en dehors de tout silo. Si pour des étudiant.e.s ou chercheur.e.s, la plateforme suscite souvent l’admiration par les possibilités techniques qui déjouent les murs payants des éditeurs, il est important de rappeler qu’il s’agit toujours d’un « jeu du chat et de la souris » entre la puissance juridique des entreprises éditoriales ancrées dans une logique techno-industrielle-marchande et l’habileté technique de celles et ceux qui maîtrisent la « couche de code » et les caractéristiques du « cyberespace ».

Cela ne règle néanmoins pas la question de la soutenabilité du modèle « pirate » et des enjeux politiques, économiques et sociaux du ‘numérique’ situés dans l’entrelacement des deux logiques : processuelle et techno-industrielle. C’est bien là un enjeu des institutions étatiques démocratiques en tant que figures en charge de dire « ce qu’il en est de ce qui est » et de défendre les libertés des citoyen.ne.s. Les « puissances publiques » se retrouvent aujourd’hui d’une part à devoir se porter garant des « promesses originelles d’Internet », comme le soulignait la tribune du juriste engagé dans les communs, citée préalablement[44]. En effet, les promesses et imaginaires actuels en lien avec les technologies numériques constituent des moteurs d’actions et sont au cœur de nouvelles revendications et formes de mobilisations citoyennes pour la garantie de nouvelles libertés (cf. 8-1). Les figures institutionnelles gouvernementales se retrouvent ainsi à devoir adapter les cadres économiques et juridiques en prenant en considération des injonctions paradoxales souvent contradictoires, tout en adaptant leurs propres modèles d’organisation à l’image des projets de « modernisation » de l’action publique[45].

Les débats sur le projet de loi pour une République numérique lors de la consultation et d’autres étapes législatives illustrent bien la complexité de l’adaptation des régulations économiques et juridiques tout en garantissant de nouveaux droits sociaux (civique-processuelle). Les questions sur la neutralité du Web, la reconnaissance des communs, la régulation des géants d’Internet tels que les GAFA ou les plateformes de l’économie collaborative[46] sont quelques-uns des sujets abordés par le projet de loi et qui sont loin d’être statuées en 2018.

Les transformations de l’action publique se situent aussi à des échelles supra-étatiques, notamment au sein de la Commission européenne. Pour prendre un exemple d’actualités à la fin de la rédaction de ma thèse (été 2018), la régulation des données à caractère personnel est un des projets majeurs de l’Union Européenne, qui a abouti, en mai 2018, à une réglementation mise en applications sous le nom de Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Chaque État membre de l’UE par la suite a dû s’organiser pour mettre en vigueur ce règlement[47]. Les entreprises proposant des services numériques ont dû se mettre en conformité, ce qui s’est traduit par la mise à jour de leur politique de confidentialité et l’obligation de les faire valider par les utilisateurs et utilisatrices de leur service. L’obligation de se conformer aux nouvelles règles pour les entreprises du ‘numérique’ montre aujourd’hui comment la mise en œuvre de normes joue sur une double dynamique. Les dispositifs sociotechniques, par leur design, les algorithmes et les codes qui les constituent, jouent un rôle important dans la construction de nouvelles normes et de nouvelles formes de régulations. Ce processus, résumé dans l’expression de Lawrence Lessig : code is law, est étudié par un ensemble de travaux théoriques en sciences sociales, dont quelques-uns cités dans ma thèse. Ces travaux montrent l’influence des « programmes »[48] sur les marges de manœuvre des actions et ainsi des usages qui se mettent en place. Cependant, la dynamique processuelle est loin d’anéantir la force des régulations juridiques « classiques » et la considération des technologies numériques comme un nouvel outillage à adopter et surtout adapter au cadre institutionnel et politique préexistant.

J’aimerais pour conclure ce panorama final du « western scientifique » numérique et des enjeux sociopolitiques et économiques qu’il suscite, aborder une autre thématique clef concernant les transformations du « monde du Travail » et de nouvelles formes que l’on dénomme aujourd’hui le Digital Labor. Je ne m’aventure pas dans cette conclusion à définir ce terme et les recherches qui sont faites à son sujet. Je souhaite néanmoins souligner un point précis, car il concerne la transformation du travail associé aux métiers proposés à des profils hautement qualifiés et formés au sein des institutions de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. La data science est au cœur des offres d’emplois d’entreprises et de start-up. Elles recrutent des data scientists capables de maîtriser aujourd’hui la chaîne de valorisation des data par leurs connaissances de l’informatique et de la programmation.

Une captation des forces de travail de la recherche : les data scientists

Les data scientists représentent aujourd’hui une main d’œuvre hautement spécialisée et qualifiée que les entreprises recrutent afin de pouvoir tirer du sens des données issues des plateformes numériques. Les profils recherchés détiennent des compétences informatiques afin de développer de nouvelles applications web et mobile ou bien encore de fournir des algorithmes nécessaires à de nouvelles fonctionnalités de recommandations et de navigation plus personnalisées, basées sur les informations des utilisateurs.

La data science ou science des données numériques, mentionnée brièvement dans le chapitre huit (cf.8-3-2), représente un domaine de recherche actuelle, à la croisée entre statistique et informatique, pour pouvoir exploiter une masse importante de données. Le développement de nouveaux algorithmes de machine learning sont au cœur de ces recherches afin d’automatiser les procédés et tirer du sens des data[49]. Or les recherches sur la data science se font à la fois au cœur d’instituts publics, par exemple à l’INRIA en France (cf. 8-3-1), mais aussi dans les départements de Recherche et Développement des « géants » d’Internet. Google et Facebook ont par exemple leur propre département de recherche dédié à l’intelligence artificielle et publient de nombreux articles en open access sur leur site respectif[50].

Or, la question se pose de celles et ceux qui travaillent sur ces nouvelles thématiques de recherche. On oublie que ce sont souvent des étudiant.e.s, ingénieur.e.s de recherche qui, « diplôme en main », travaillent dans des entreprises ou des start-up. Leur métier consiste à mener des recherches théoriques ou appliquées sur des masses de données hétérogènes « nativement numériques », ou bien encore à créer des infrastructures nécessaires au stockage et à la manipulation plus aisée des data. Que ce soit les data scientists, architects, guru ou les « spécialistes » de l’IA, ces profils maîtrisent souvent plusieurs langages de programmation et adoptent des modes de travail et d’organisation où l’open source est un principe de base afin de travailler efficacement. Ces personnes font souvent leurs études au sein de nouvelles formations data science proposées par les universités et les écoles d’ingénieurs pour aller directement travailler ensuite au sein de ces entreprises. Certaines personnes décident également de quitter la recherche publique après un doctorat ou post-doctorat pour rejoindre ces entreprises, car les emplois « permanents »[51] se font rares dans le milieu académique de l’enseignement supérieur et de la recherche publique. Si une dimension financière est présente, les entreprises proposent également parfois des sujets de recherche attractifs qui éveillent la curiosité intellectuelle des chercheur.e.s. Or, ces personnes issues de formation scientifique ou ingénieure bien souvent, débutent dans des emplois de la data science, ou bien de la gestion de projets numériques, sans pour autant avoir une réflexion critique sur ce que signifie le ‘numérique’ et les enjeux éthiques, politiques que soulèvent ces « boîtes noires » techniques.

Les remarques soulignées dans les derniers paragraphes restent des observations et l’ébauche de pistes de recherche futures à mener (évolution des formations en data science, nombre de chercheurs en mathématiques ou informatiques au sein des entreprises, etc.). Comme le montre la tonalité de mes propos, il s’agit d’un partage d’observation et un parti pris plus engagé dans cette conclusion. Ils sont au cœur des réflexions et actions menées au sein du collectif HackYourPhD ou d’autres projets. L’épilogue dans sa coloration « hacktiviste » en présente quelques éléments guidés en toile de fond ma propre conception de l’open après ce parcours doctoral.



[1] Catherine De Lavergne, « La Posture Du Praticien-Chercheur : Un Analyseur de l’évolution de La Recherche Qualitative », Recherches qualitatives, 2007, Hors-série, nᵒˢ 3, p. 28‑43

[2] Ibid.,

[3] L’expression de « marché unique numérique » (digital single market) est employée par la Commission européenne. Voir : https://ec.europa.eu/commission/priorities/digital-single-market_fr

[4] Ma participation en Juillet 2018 alors en toute fin de rédaction à ESOF (Euroscience Open Forum) m’a permis de voir comment la thématique de l’Open Science était au cœur des discours et des conférences plénières. J’ai noté l’évolution des discours par rapport à la conférence ESOF2014, à laquelle j’avais aussi assistée en 2014. Voir : https://www.esof.eu/

[5] Legifrance, LOI N° 2016-1321 Du 7 Octobre 2016 Pour Une République Numérique, 2016

[6] La question du text and data mining n’a pas été statué par un article de loi supplémentaire, mais il fait l’objet d’un projet de décret (toujours en 2018).

[7] Le projet DARIAH par exemple en SHS pour Digital Research Infrastructure for the Arts and the Humanities, auquel participe la France est un exemple des initiatives actuelles d’outillage de la recherche européenne. Voir : https://www.dariah.eu/

[8] Voir : http://www.bibliothequescientifiquenumerique.fr/ami-pour-la-constitution-du-comite-pour-la-science-ouverte-coso/

[9] Voir : ALLISS, Livre Blanc : Prendre Au Sérieux La Société de La Connaissance, Paris, 2017

[10] ML HackYourPhD, [Hackyourphd-Org] Retour RDV Cabinet Ministre ESRI, [email protected] , 23 mai 2018, (consulté le 11 août 2018)

[11] Ibid.,

[12] Voir : https://www.opencon2018.org/

[13] Voir : https://science.mozilla.org/

[14] Voir : https://lapaillasse.org/

[15] Voir : http://hackyourphd.org/statuts-de-lassociation/

[16] Le « on » désigne ici aussi bien des étudiant.e.s, des membres de la recherche rattachées à une université ou à un organisme de recherche, mais aussi des personnes en dehors des sphères académiques qui cherchent à accéder à des publications scientifiques. C’est le cas par exemple des personnes travaillant dans des start-up qui ont besoin d’accéder à des publications. C’est une des raisons donnée de l’origine de la startup MyScienceWork. La fondatrice de MSW, lors de son doctorat dans une start-up, avait noté l’accès difficile aux publications scientifiques en dehors de la sphère universitaire et avait souhaité développer une solution pour y remédier. Mais d’autres personnes souvent concernées sont des individus souffrant d’une maladie ou bien leurs proches qui cherchent à comprendre leur pathologie.

[17] Plusieurs universités se désabonnent régulièrement des éditeurs scientifiques, par exemple la Bibliothèque universitaire de santé de Paris Descartes n’a pas renouvelé son abonnement en 2018 avec l’éditeur Springer pour soutenir le consortium Couperin tant qu’un accord national avec l’éditeur n’aura pas été trouvé. Voir : http://www2.biusante.parisdescartes.fr/wordpress/index.php/revues-springer-interruption-abonnement-2018/

[18] Voir : https://www.projetsoha.org/

[19] Voir : https://www.projetsoha.org/

[20] Par contenu complet d’une ressource, je souligne qu’il ne s’agit pas seulement de la notice avec le résumé, ou bien les premières pages, comme on le retrouve sur certains plateformes.

[21] J’avais abordé ce point avec des bibliothécaires universitaires de la BIU Santé dans le MOOC « Numérique et recherche en santé et sciences du vivant » que j’ai coordonné. Voir : Science et Numérique : Quelles Transformations ? S0 (MOOCSciNum), Paris, Centre Virchow-Villermé, 2015

[22] Dominique Boullier, Sociologie du numérique, Paris, Armand Colin, 2016, 383 p.

[23] Le PageRank désigne l’algorithme de classement employé par Google pour trier les liens qui s’affichent sur une page. Dominique Cardon revient sur ses origines (en scientométrie) dans son article « Dans l’esprit du PageRank » et décrit également les stratégies des internautes pour déjouer cet algorithme. Voir : Dominique Cardon, « Dans l’esprit du PageRank », Réseaux, 2013, nᵒˢ 177, p. 63‑95

[24] Google Scholar, en 2018, mentionne dans la présentation de son service que le procédé de tri cherche à être au plus près des pratiques de recherche habituelle des chercheurs aujourd’hui : “Google Scholar aims to rank documents the way researchers do, weighing the full text of each document, where it was published, who it was written by, as well as how often and how recently it has been cited in other scholarly literature”“. Voir : https://scholar.google.com/intl/fr/scholar/about.html

[25] Pour en connaître plus sur l’évaluation des chercheurs et de la recherche et son évolution, l’interview de David Pontille pour le MOOCSciNum résume bien les points essentiels des recherches à ce sujet, tout autant que son article avec Didier Torny « La manufacture de l’évaluation scientifique ».Voir : Panorama de l’évaluation Scientifique et de Ses Évolutions : Le Développement Des Altmetrics S6 (MOOCSciNum), Paris, Centre Virchow-Villermé, 2015. ; David Pontille et Didier Torny, « La manufacture de l’évaluation scientifique », Réseaux, 2013, nᵒˢ 177, p. 23‑61

[26] David Pontille, « Les transformations de la contribution scientifique. », Histoire de la recherche contemporaine. La revue du Comité pour l’histoire du CNRS, 2015, Tome IV-N°2, p. 152‑162

[27] Florence Millerand, « Les imaginaires de la « science 2.0 » : de l’idéal de la science ouverte au « marketing de soi », Communication. Information médias théories pratiques, 2015, vol. 33/2

[28] L’injonction à la visibilité et à la communication des travaux de recherche par les chercheurs eux-mêmes, se traduit dans les formations doctorales ou bien des concours tels que la thèse en 180 secondes, Sur le sujet, on peut lire le billet d’opinion du blog affordance. Voir : http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2018/06/ma-these-en-180-secondes.html et l’article du carnet de recherche Zilsel. Voir : https://zilsel.hypotheses.org/2608(https://zilsel.hypotheses.org/2608. Mon propos néanmoins n’est pas de rejeter de but en blanc ces formations, ou ces événements qui sont, par exemple, une aide substantielle pour aider à clarifier au cours de sa thèse l’état de son avancement. Mon point est plutôt de faire comprendre l’origine du développement de ces formats et dans quel système économique et politique de la recherche contemporaine ils s’insèrent.

[29] Voir : https://www.researchgate.net/

[30] Voir https://www.academia.edu/

[31] Ibid.,

[32] Traduction libre : Voulez-vous savoir qui consulte votre travail sur ResearchGate ?

[33] Pour une étude des rhétoriques de l’ouverture, basée sur une approche sémiotique, j’ai rédigé un article avec Olivier Aïm, Anneliese Depoux, et Karl-William Sherlaw dans un domaine proche de la recherche : celui de l’enseignement supérieur en étudiant l’évolution de huit plateformes de MOOC. Voir : Gruson-Daniel Célya, Aïm Olivier, Depoux Anneliese et Sherlaw Karl-William, 2018, « Des MOOC (Massive Open Online Courses) Aux OC (Online courses) : les rhétoriques de l’ouverture », Questions de communication, série actes, 2018, nᵒ 37.

[34] On retrouve la distinction faite par Richard Stallman entre* : free as in a speech and free as in free beer.

[35] Gérer sa visibilité signifie aussi avoir l’option d’être anonyme. Je n’ai pas vérifié si cette fonctionnalité existe sur les réseaux sociaux académiques, mais c’est le cas en 2018 sur Linkedin, réseau social professionnel, où il est possible de passer en profil caché (option premium) pour que les autres ne se rendent pas compte que l’on visite leur profil.

[36] De l’anglais : “A data-driven solution to analyze scientific content, foster innovation, and drive strategic research decisions” Voir : https://www.mysciencework.com/

[37] Par procédés algorithmiques, j’entend la fouille de textes et de données ciblées sur les informations d’un.e inscrit.e.s ou bien encore la proposition de recommandation à partir de l’analyse des « traces », c’est-à-dire des actions effectuées par une personne sur le dispositif. J’ai mené de tel projets menant data science et recherche en sciences humaines et sociales dans le cadre de l’analyse des data des utilisateurs de MOOC (projet #MOOCLive).

[38] Dans le temps imparti de ma recherche, ces éléments ne sont que des pistes et je n’ai pas pu creuser sur l’usage du terme « traces numériques », étude menée par Cléo Collomb et Eglantine Schmitt au sein du laboratoire COSTECH.

[39] Benjamin Loveluck, La Liberté Par l’information. Généalogie Politique Du Libéralisme Informationnel et Des Formes de l’auto-Organisation Sur Internet, École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Paris, 2012

[40] John Bohannon, Who’s downloading pirated papers? Everyone, http://www.sciencemag.org/news/2016/04/whos-downloading-pirated-papers-everyone , 25 avril 2016, (consulté le 11 août 2018)

[41] Ibid.,

[42] B. Loveluck, La Liberté Par l’information. Généalogie Politique Du Libéralisme Informationnel et Des Formes de l’auto-Organisation Sur Internet, op. cit

[43] Loveluck prend pour exemple « Wikileaks » comme démonstration d’une désobéissance civile pour rétablir les principes de liberté individuelle et d’égalité citoyenne, et qui puise dans les racines du hacking. Voir Ibid.,

[44] Maurel Lionel, « Sous Le Signe de l’ouverture et Des Communs », Liberation.fr, 27 sept. 2015

[45] En 2018, des services en France sont dédiés à « l’organisation de la transformation publique ». En 2015, un service unique se nommait le SGMAP (Service général pour l’organisation de la modernisation de l’action publique. En Novembre 2017, deux directions ont été créées avec la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’Etat (DINSIC).

[46] Monique Dagnaud, Le Modèle Californien : Comment l’esprit Collaboratif Change Le Monde, Paris, Odile Jacob, 2016, 204 p

[47] En France, la CNIL est en charge de la mise en œuvre du RGPD.

[48] Cécile Méadel et Guillaume Sire, « Les sciences sociales orientées programmes », Réseaux, 2017, nᵒˢ 206, p. 9‑34

[49] L’intelligence artificielle et le machine learning sont aujourd’hui au cœur des débats et illustrent la volonté d’automatiser l’ensemble des processus d’actions possible sur les plateformes par l’analyse des données. C’est une autre illustration, à mon sens de l’ « effet boomerang » actuel d’idées théoriques ou bien d’idéal de projets scientifiques passés, qui trouvent aujourd’hui avec l’évolution des technologies un moyen d’être concrétisés. Si dans ma thèse, j’ai pris en exemple l’idéal académique associée à la dimension télécommunicationnelle des technologies, l’exemple du machine learning et de l’intelligence artificielle, montre comment les pensées cybernéticiennes dans leur dimension computationnelle des technologies sont aujourd’hui au centre des imaginaires numériques.

[50] Voir : https://ai.google/research/pubs/ et https://research.fb.com/category/facebook-ai-research/

[51] Par « emplois permanents », je désigne les postes de maître.sse. de conférence, de directeurs/directrices de recherche ou bien d’ingénieur.e.s de recherche accessibles à la suite d’étapes successives de sélection (qualification, concours avec présentation de dossier suivie d’entretiens oraux, etc.) dans les instituts universitaires ou de recherche publique. Peu de postes permanents sont disponibles par rapport au nombre de candidat.e.s.

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