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Chapitre 4 - La consultation République numérique : épreuve de réalité « équipée »

Ce chapitre décrit la méthodologie employée pour analyser la consultation pour une République numérique considérée comme une épreuve de réalité équipée. Les mouvements de l'enquête articulant démarche par théorisation ancrée et méthodes numériques sont explicités.

Published onNov 01, 2019
Chapitre 4 - La consultation République numérique : épreuve de réalité « équipée »
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4-1 D’une exploration tous azimuts à la délimitation d’un terrain de recherche : la consultation République numérique

Lorsque l’on observe la mobilisation d’une formule telle que l’open, même si le champ d’étude se limite ici au domaine des sciences, on se rend rapidement compte que les moments de désaccords et de débats sont nombreux. L’introduction en a donné un exemple avec l’affaire #MSWgate qui s’est déroulée en 2013. Ce premier conflit permet de voir que la mise en œuvre de l’open access en France n’est pas si simple qu’il y parait et que bon nombre d’enjeux sociopolitiques et économiques y sont associés. Dans l’introduction générale, j’ai employé le terme de huis clos 2.0 pour insister sur le fait que les débats dans ce cas précis se sont limités aux « cercles des initiés » de l’open access. L’affaire s’est ensuite tassée, le hashtag #MSWGate s’est perdu dans le flot de Twitter, et les billets de blog à ce sujet ont laissé place à d’autres discussions. La start-up française, quant à elle, a tâché de « rectifier le tir » mais a surtout trouvé d’autres lieux plus propices et réceptifs à leur façon de penser l’open access[1]. Les discussions sur l’open se sont poursuivies dans différents espaces et réseaux sociaux numériques, en France mais également à l’international. La Semaine de l’open access, quant à elle, fut par la suite coordonnée par un acteur institutionnel, le consortium Couperin avec le soutien du projet européen FOSTER (Facilitate Open Science Training for European Research). Ce projet est une bonne illustration du rôle que la Commission européenne prit à partir de 2014 sur la question de l’open en sciences. Avec le lancement du nouveau projet cadre Horizon 2020[2], le terme open science est devenu un passage obligé pour tenter d’obtenir des financements européens pour des projets de recherche. Cette dynamique a amené chaque pays membre de l’Union européenne à se positionner sur le sujet de l’open et à organiser des conférences, réunions, rencontres autour des thématiques de l’open access, l’open data, ou l’open science[3].

À partir de 2013, les occasions n’ont pas manqué pour explorer les significations multiples données au terme open. Mais le grand nombre de débats et de rebondissements à ce sujet sont vite devenus problématiques. Que faire face à une thématique mondialisée avec néanmoins des spécificités propres à chaque pays (organisation, infrastructures, mise en place de textes de lois, etc.) ? Par où commencer ? Faut-il prendre un cas d’étude en particulier ? Grâce aux connaissances de terrain déjà acquises, l’approche ethnographique constituait à mes yeux la démarche la plus « sensée » pour recueillir des informations empiriques. Cependant, elle représentait également une difficulté méthodologique. Mon immersion dans ce milieu depuis mon emploi de community manager au sein de MyScienceWork me procurait une certaine connaissance des quelques acteurs principaux impliqués dans l’open en sciences en France, ainsi qu’à l’étranger. Dans une approche ethnographique, mon choix aurait pu se porter, par exemple, sur l’étude des listes de discussion qui relaient des actualités sur l’open ou débattent à ce sujet[4]. J’aurais pu suivre un groupe de travail sur l’open en sciences ou bien continuer mon investigation sur les entrepreneurs open science en France ou à l’étranger comme j’avais débuté au sein de HackYourPhD[5](cf. encadré ci-dessous). L’enquête aurait pu prendre la forme d’une recherche action-participative au sein de la communauté de jeunes chercheurs HackYourPhD ou bien du collectif OpenCon. Mais choisir d’observer tel espace ou telle communauté ne permettait pas de comprendre les diverses significations données à l’open en sciences, ni explorer les raisons même des désaccords. Il m’est apparu nécessaire de capter aussi bien les avis militants pour l’open en sciences que les critiques et les craintes qui s’y rapportent et pour cela, d’accéder à un terrain propice à la rencontre de ces différents arguments.


Gazouillements et autres récits sur l’open : expérimentation d’avant thèse au sein de HackYourPhD

En plus du suivi de la thématique en ligne d’échanges sur les listes de discussion, les réseaux sociaux, les billets de blogs et d’articles, j’ai assisté et j’ai été conviée à un certain nombre d’événements en France mais aussi à l’international sur la thématique de l’open science. J’ai notamment réalisé des comptes rendus de livetweet[6]. Nous avons, avec l’association HackYourPhD, archivé des interviews réalisées sur archive.org[7]. Plusieurs documents, par exemple des comptes rendus de tweets sur la plateforme Storify[8] ont été perdus lorsque l’entreprise a fermé, ce qui montre bien les enjeux de patrimonialisation et d’archivage que j’aborde dans le chapitre cinq.


La consultation pour le projet de loi République numérique[9] qui s’est déroulée de septembre à octobre 2015 est apparue comme un moment opportun pour explorer ces diverses significations. En effet, ce temps fort (que je détaille dans la suite de ce chapitre) a regroupé sur un même espace numérique un grand nombre de personnes et d’organisations impliquées dans ce sujet en France et notamment des acteurs qui habituellement s’expriment peu en public. Loin d’un huis clos 2.0 entre quelques personnes sur les sphères numériques des blogs et de Twitter, la consultation République numérique a pris la forme d’un véritable débat public sur « la question des savoirs et des communs »[10]. Sur un temps relativement court (trois semaines), le site web de la consultation a recueilli une grande diversité d’arguments, des justifications tout autant que des critiques, à propos de la définition même de l’open en sciences et de sa mise en œuvre en France, en raison de la présence de l’article 9 sur le « libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique »[11].

Le moment de la consultation et le site web dédié ont constitué le point d’entrée de mon enquête. Cette entrée m’a amenée à suivre la dynamique de ce débat (autres espaces/dispositifs)[12] employés, moments clefs du débat, etc.) et à mettre en évidence les perspectives argumentatives et stratégies dans l’épreuve[13] mises en œuvre par différentes parties prenantes pour définir ce que devrait être ‘la Science’, autrement dit, pour définir le régime des savoirs qui serait le plus approprié aujourd’hui.

Ce chapitre a pour objectif de revenir sur l’ensemble de la méthodologie employée pour analyser ce moment-clef et de décrire les mouvements propres à l’analyse. Dans ma démarche par théorisation ancrée, les étapes de recueil des informations, d’analyse, de lectures se sont faites progressivement et de façon circulaire. C’est pour cette raison que j’emploie la notion de « mouvements ». Mais tout d’abord, je vais revenir sur une description de la consultation République numérique et détailler quelques spécificités de cette épreuve de justice. Cette première description vient justifier les raisons du choix de ce moment particulier comme point d’entrée de mon enquête, un moment que je qualifie, et nous verrons pourquoi, d’épreuve de réalité « équipée ».

4-1-1 Mise en contexte : les enjeux de la phase consultative du projet de loi République numérique

Consultation République numérique : « Une approche inédite de la fabrication de la loi »[14]

En septembre 2015, plusieurs listes de discussion/diffusion font part du lancement prochain d’une consultation en ligne sur le projet de loi pour une République numérique. Dès le 1er septembre, une personne de la liste [accès ouvert][15] partage le lien d’une interview donnée par Axelle Lemaire[16]. La secrétaire d’État en charge du projet de loi y aborde, entre autres, la question du « libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique »[17], car un article du projet de loi y est consacré. Elle y annonce également une nouveauté dans le processus législatif avec la mise en œuvre d’une consultation pour donner la parole à tous sur ces « questions cruciales » du ‘numérique’. Quelques jours plus tard, d’autres listes de diffusion regroupant des réseaux d’acteurs autour des communs ([savoirsComm1], [echanges]) annoncent le lancement de la consultation. Elle débute le 26 septembre 2015 pour une période de trois semaines. Il s’agit alors pour ces collectifs de se positionner et de s’organiser pour répondre à cette « approche inédite de la fabrication de la loi »[18].

Pourquoi un tel engouement autour du projet de loi République numérique ? Pour le comprendre, il est nécessaire de présenter le projet de loi, sa genèse ainsi que l’organisation de la consultation considérée comme démarche « innovante » et originale dans le paysage politique français de l’époque.

Le projet de loi porté par le Ministère de l’Économie et des Finances a pour ambition de réguler le ‘numérique’, ses usages et les nombreux enjeux qui y sont liés (économiques, politiques, sociaux, etc.) On y retrouve ainsi des thématiques clefs : la question de l’open data et de l’ouverture des données publiques et d’intérêt général, le sujet de la neutralité de l’Internet, ou bien encore la reconnaissance des communs comme droit positif. Des thématiques qui, comme je l’ai décrit dans le premier chapitre, sont au cœur des problématiques politiques et font aujourd’hui l’objet de mobilisations citoyennes. Le sujet de l’open access y a également sa place avec l’article 9 intitulé « libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique » dans la version du projet de loi qui est soumis à consultation[19].

En effet, pour un projet touchant la régulation du champ du ‘numérique’, la rédaction de la loi s’inscrit dans une démarche spécifique. Le projet de loi s’accompagne d’un processus délibératif et contributif avec un temps de consultation et la mise à disposition d’un site web participatif en ligne, développé spécialement à cet effet[20].

Une consultation dans la lignée des processus démocratiques mais d’une tout autre envergure

Comme mentionné dans le chapitre trois, l’approche consultative n’est pas nouvelle et s’inscrit dans la mouvance du « nouvel esprit de la démocratie »[21] qui met en avant la participation et la co-création de processus décisionnels avec les citoyens. Les consultations sont déjà une pratique développée dans la lignée de la démocratisation des enquêtes publiques, comme la Commission nationale du débat public, créée en 1995, qui en est une illustration (Cf. 3-2-2). Avec sa devise « Vous donner la parole et la faire entendre »[22], la CNDP coordonne des débats publics dans la logique d’informer les citoyens mais aussi de prendre en considération leurs avis sur de nombreux projets d’aménagement aux impacts environnementaux ou socio-économiques importants[23]. La consultation République numérique, dans cette démarche consultative, possède plusieurs spécificités additionnelles à cette démarche initiale. Tout d’abord, elle concerne un projet de loi, c’est-à-dire un débat public d’envergure nationale, et non pas local. Ensuite, la phase consultative est organisée très en amont des étapes législatives habituelles. Enfin, elle s’appuie sur un site web consultatif dédié et développé par une entreprise provenant de l’univers des civic-tech (cf. 1-2-2).

La rédaction de la loi pour une République numérique s’insère dans un temps long avec plusieurs étapes inhabituelles. La consultation est organisée tout au début du processus législatif avant même la présentation du texte devant le Conseil d’État.


Procédure législative « classique » et originalité de la consultation République numérique

Le processus législatif en France dans la 5ème République se compose de nombreuses étapes et allers-retours, avant qu’une loi ne soit adoptée. Une loi peut être proposée par un Premier ministre ; dans ce cas, une première version est rédigée suite à des études d’impact et la consultation d’instances. Le Conseil d’État examine ensuite ce projet de loi (rôle de conseil). Puis, le projet de loi est présenté au Conseil des ministres. S’ensuivent des allers-retours entre les deux assemblées : le Sénat et l’Assemblée nationale. Les textes sont d’abord reçus en commission avant d’être discutés en séance plénière. Une première lecture est effectuée par les deux assemblées. S’ensuit une navette parlementaire, sur les articles divergents. Une commission mixte parlementaire peut aussi être appelée en cas de désaccords. Enfin, le texte de loi dans sa version définitive est promulgué.


Il faut également savoir que la rédaction du pré-projet de loi a lui-même fait l’objet d’une démarche participative. Dans le processus législatif « traditionnel », des instances de conseil mais aussi des études d’impact sont effectuées pour rédiger le projet de loi soumis au Conseil d’État en premier lieu. Dans le cas de ce projet de loi, une de ces instances, le Conseil national du numérique (CNNUM), a lui-même organisé en amont six mois d’échanges (5000 personnes auditionnées) afin de rédiger le Rapport Ambition numérique, remis au gouvernement et publié en ligne en juin 2015[24].

Mais la grande nouveauté du projet de loi, relayée par les médias, réside bel et bien dans l’ouverture « d’une plateforme numérique inédite de co-création de la loi permettant aux citoyens d’enrichir et de perfectionner le texte législatif gouvernemental »[25]. Cette « approche inédite de la fabrication de la loi »[26] représente en effet pour l’État français la première loi à être co-créée avec les internautes au tout début du processus législatif. Une plateforme est développée spécifiquement pour cet usage (suite à un appel à projet) par l’entreprise Cap Collectif[27] qui a déjà accompagné d’autres démarches de consultation/participation en ligne. Je vais détailler désormais quelques fonctionnalités du site web, ce qui me permet aussi de présenter l’article 9 sur « le libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique »[28].

4-1-2 Exploration du site web de la consultation et présentation de l’article 9 sur « le libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique »

La présentation du site de la consultation République numérique et de son organisation interne a pour visée d’introduire les éléments méthodologiques de l’enquête. Il s’agit d’une première description générale. Les chapitres d’analyse me permettent ensuite d’en détailler les spécificités.

Sur le site web de la consultation, plusieurs fonctionnalités sont proposées. Tout d’abord, chaque article de loi est accompagné d’un petit texte d’explication et d’un exemple, dans le but de faciliter la lecture du texte de loi. (cf. figure 1).

Figure 1 - Capture d’écran de l’article 9 - Libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique publié par le « Gouvernement » le 26 septembre 2015 sur le site web de la consultation République numérique dédiée. Une explication de l’article de loi est proposée (objectif-explication-exemple) avant l’article tel qu’il est rédigé dans le projet de loi.

Pour participer à la consultation, tout internaute[29] peut s’inscrire sur le site web republique-numerique.fr et doit compléter quelques informations de profil. Par exemple, il faut préciser si l’on est un citoyen ou si l’on représente une organisation à but non lucratif ou lucratif, une institution[30]. Chaque personne inscrite[31] peut ensuite réaliser différentes actions sur la plateforme. Une première fonctionnalité consiste à voter pour chaque article de loi. Trois choix de vote sont proposés : « pour », « contre » ou « mitigé » (cf. figure 2).

Figure 2 - Capture d’écran du résultat des votes de l’article 9 proposé par le « Gouvernement » (version initiale) sur le site web de la consultation République numérique. Lors de la consultation, étaient présents les boutons de vote « pour, contre, mitigé ». A la clôture de la période de consultation, ces derniers ont été enlevés. Le camembert permet de visualiser la répartition du résultat des votes (« pour » en vert, « contre » en rouge et « mitigé » en orange). Sous l’espace vote, trois autres onglets apparaissent : arguments, modifications et sources, associés à d’autres fonctionnalités (cf. figure 3)

Une autre action possible sur le site web est celle du commentaire. Dans ce cas, deux possibilités sont données : soit ajouter un argument « pour » ou bien un argument « contre ». Les commentaires s’affichent en deux colonnes séparées sous l’article de loi ou bien sous les versions modifiées de chaque article (cf. figure 3).

Figure 3 - Capture d’écran de l’onglet « arguments » présent sous l’article 9 (après le résultat des votes) proposé par le « Gouvernement » (version initiale) sur le site web de la consultation République numérique. Les arguments sont les commentaires apportés à un article. Ils sont séparés en deux colonnes (arguments « pour » et « contre »). Chaque argument peut être approuvé (bouton « D’accord ») et trié également selon différents paramètres (ici la popularité).

En effet, la dimension « hautement » contributive de la plateforme réside en la possibilité de proposer une modification de l’article initial, ce qui consiste, en langage juridique, à proposer un amendement. Il est aussi possible d’ajouter un tout nouvel article : une proposition (cf. figure 4).

Figure 4 - Capture d’écran de l’onglet « modifications » présent sous l’article 9 proposé par le « Gouvernement » (version initiale) sur le site web de la consultation République numérique. Les modifications sont les versions modifiées de l’article 9. 108 modifications (amendements) ont été proposées pour l’article 9. Chaque nouvelle version peut aussi faire l’objet d’un vote. Les diagrammes permettent de visualiser la proportion des votes (en vert les « pour », en rouge les « contre » et en orange, les « mitigés »)

Pour une bonne compréhension de la plateforme et de son organisation, il est important de comprendre que la version initiale du projet de loi proposé par le gouvernement a la même organisation que les autres articles. Le « Gouvernement » est un contributeur parmi d’autres, doté également d’un profil type[32].

Une dernière fonctionnalité consiste à ajouter des sources et des renseignements spécifiques pour chaque article. La possibilité est alors à nouveau offerte de voter ou de commenter, aussi bien à propos de l’article modifié lui-même, qu’à propos des sources ajoutées ou encore des commentaires (cf. figure 5).

Figure 5 - Capture d’écran de l’onglet « sources » présent sous l’article 9 proposé par le gouvernement (version initiale) sur le site web de la consultation République numérique. Les sources sont différents liens partagés pour venir soutenir les arguments. Chaque source est associée à une catégorie (Site Web, Rapport/étude, Autre) et peut aussi être approuvée avec le bouton « D’accord ».

Pour mieux comprendre l’imbrication des différentes fonctionnalités, je prends pour illustration l’article 9. La capture d’écran (cf. figure 6) montre que cet article s’inscrit dans la section 2 « Travaux de recherche et statistique ». Les articles rédigés par le gouvernement sont reconnaissables par la « Marianne numérique » présentée comme photo de profil. Le gouvernement apparaît bien comme un contributeur parmi d’autres, les articles proposés par d’autres participant.e.s ayant le même statut que ceux du gouvernement.

Figure 6 - Capture d’écran des propositions d’article pour la Section 2 Travaux de recherche et de statistique sur le site web de la consultation République numérique. L’article 9 et 10 sont les versions initiales proposées par le gouvernement. L’article 11 est proposé par une personne inscrite sur le site. On retrouve les diagrammes visualisant le nombre de votes pour chaque article. Un autre paramètre de tri est proposé : « Tri ordonné puis aléatoire ».

À la suite des deux articles proposés dans la version initiale du projet de loi (ici 9 et 10), on voit qu’un autre article est proposé par un internaute[33] intitulé « Article 11.0 : financement public du logiciel libre ». En haut à droite (cf. figure 6), 25 propositions supplémentaires sont indiquées. C’est-à-dire que dans la section, 23 articles supplémentaires s’ajoutent aux deux articles (le 9 et le 10) proposés par le gouvernement. Si l’on se penche désormais plus spécifiquement sur l’article 9 rédigé par le gouvernement (cf. figure 6), on observe que sous le titre de l’article sont indiqués le nombre de votes, le nombre de modifications, les arguments et les sources, ainsi qu’un camembert permettant de visualiser la proportion de votes « pour » (vert), « contre » (rouge) et « mitigé » (orange).

Lorsque l’on clique ensuite sur un article (qu’il s’agisse de l’article proposé par le gouvernement, d’une modification/amendement ou d’une nouvelle proposition d’article), on retrouve la même organisation de la page. Tout d’abord, un premier espace permet d’ajouter un texte explicatif par le contributeur, puis le texte de loi en tant que tel est indiqué (cf. figure 1.)

Sous cette partie, on retrouve le camembert récapitulant les résultats de votes, puis trois onglets qui donnent accès aux modifications de l’article, aux arguments (soit les commentaires « pour » et « contre ») et aux sources (cf. figures 2, 3, 4 et 5).

Les captures d’écrans (figures 3, 4 et 5) de chaque onglet montrent aussi que des paramètres de tri spécifiques sont proposés. Par exemple, il est possible de trier les arguments en fonction de critères de popularité ou de chronologie (les plus récents d’abord, ou les plus anciens). Pour les modifications, plusieurs options sont également disponibles (récents, anciens, aléatoires, favorables, votés, commentés). Il est aussi possible de voter sur les sources et les arguments.

Lorsque l’on clique sur une modification en particulier (une proposition d’amendement), par exemple l’article « Protéger le droit des auteurs d’articles scientifiques, pour permettre le libre accès à la recherche scientifique » (cf. figure 7), on retrouve la même organisation de pages précédentes (texte explicatif, arguments, sources, etc.). Cependant, une différence apparaît concernant le texte de loi en lui-même. Les modifications apportées au texte de loi sont affichées : les suppressions et les ajouts au texte sont rendus visibles par un code couleur.

Figure 7 - Capture d’écran d’une modification proposée de l’article 9 sur le site web de la consultation République numérique. Les modifications apportées sont indiquées en couleur, et les parties supprimées sont barrées. Sous le titre de la modification, le nombre de votes et d’arguments associés à la modification est noté.

À la fin de la consultation, pour les articles les plus votés, une partie « réponse du gouvernement » est ajoutée, comme l’illustre la prochaine capture d’écran (cf. figure 8)

Figure 8 - Capture d’écran de la réponse du gouvernement publiée le 29 décembre 2017 sur le site web de la consultation République numérique aux modifications les plus votées. Pour cette proposition de modifications : 1511 votes ont été recueillis.

Et c’est ce dernier point, la « réponse du gouvernement » qui se révèle essentielle pour comprendre la mobilisation importante lors de la phase consultative[34]. Le gouvernement s’est en effet engagé à prendre en considération les dix propositions ayant retenu le plus de votes et à en faire un retour personnalisé sur le site de la consultation. Une logique s’est alors mise en place. Pour être entendu, il s’agissait pour les parties intéressées de recueillir le plus grand nombre de votes possible. La consultation et le poids donné à la participation ont provoqué ainsi une « course au vote » et une organisation des différentes parties prenantes pour juger de l’article et des commentaires/propositions de modification à y apporter.

« La consultation sur la loi numérique est lancée et le tourbillon médiatique commence »

Cet extrait (en sous-titre), issu de la liste de diffusion [SavoirsCom1][35] quelques jours après le début de la consultation résume en effet l’engouement que cette étape provoque pour certains collectifs. Rapidement, des représentants d’organisations commencent à être sollicités par les médias. Un ensemble d’articles de presse sont publiés par des journalistes autour de la consultation, différents collectifs prennent aussi la parole, justifient leur positionnement et appellent à voter via des tribunes[36]. Les échanges se font nombreux aussi sur les listes de diffusion. Une personne, membre d’une liste de discussion, indique ainsi sur une de ces listes : « Au moins les questions des savoirs et des communs sont dans le débat public ! »[37].

Les échanges qui suivent montrent que, pour divers collectifs, la consultation représente une opportunité à ne pas laisser de côté[38]. Il s’agit tout d’abord d’analyser les articles de loi proposés par le gouvernement puis de répondre de façon individuelle mais aussi collective. Sur une autre liste de discussion, un membre précise qu’il est nécessaire d’occuper le terrain et d’adapter le message au public visé dans l’idée de former un rempart contre les opposants. En effet, ces groupes ont conscience des discussions qui s’opèrent en dehors de l’espace de la consultation et de l’opportunité que représente cette loi pour défendre l’open access, comme le souligne l’extrait ci-dessous[39] :

Bonjour

Si ce projet de loi aboutit, ce serait une formidable avancée pour l’OA [Open Access]. La modification de la loi est en effet un des leviers majeurs pour le développement de l’OA. Nul doute, cependant que nos « amis » qui nous écoutent sur cette liste et ailleurs s’empresseront de mettre en place tous les lobbys possibles pour contrecarrer ces initiatives. A nous d’être plus convaincants auprès du politique pour le bénéfice de tous plutôt que pour des bénéfices particuliers de quelques uns…[40]

La présentation de la mobilisation autour de la consultation et plus spécifiquement ce dernier extrait me permettent désormais d’expliquer la raison du choix de la consultation République numérique comme cas d’étude principal de ma recherche. En effet, les propos font particulièrement écho à certains éléments théoriques présentés dans le chapitre trois. On voit dans les quelques échanges retranscrits la mise en œuvre de mobilisations numériques (cf. 3-2) où il s’agit de se coordonner, et de s’organiser pour répondre efficacement à la fois de façon individuelle mais aussi collective. Comme le résume le dernier extrait, le but des personnes impliquées est de faire valoir des intérêts collectifs au détriment d’autres acteurs qui défendraient selon eux des intérêts particuliers et qui auraient cependant d’autres moyens (moins transparents) pour faire valoir leur opinion[41].

La consultation représenterait néanmoins un moment-clef et une possibilité pour chaque partie prenante d’exposer son point de vue et d’être entendu par un juge particulier : le « Gouvernement ». C’est « lui » qui pourrait statuer et « dire ce qu’il en est de ce qui est » pour reprendre l’expression de Luc Boltanski[42]. Par sa fonction institutionnelle, le « Gouvernement » représente la figure de l’« État » qui a la capacité de coordonner la mise en place du texte de loi dans sa version définitive[43]. Les spécificités de cette épreuve de justice m’ont poussée à la considérer comme une épreuve de réalité « équipée »[44].

4-1-3 La consultation République numérique comme point d’entrée : une épreuve de justice spécifique (formulation de la question de recherche)

Tout d’abord, revenons sur quelques définitions données dans le chapitre trois concernant la notion d’épreuve de justice et sa résolution (cf. 3-1-2). En sociologie pragmatique de la critique (au sens de Boltanski et Laurent Thévenot[45]), une épreuve de justice consiste en un moment d’incertitude et de remise en question. Dans ce cas, à la différence d’autres formes d’épreuves (par exemple les épreuves de force), différentes parties prenantes mettent en avant des arguments qui sont publiquement défendables puisqu’ils ne reposent pas sur la défense d’un intérêt privé. Pour reprendre le vocabulaire des cités et des mondes communs (cf. 3-1-2), les justifications reposent sur des principes supérieurs communs et des grandeurs pour le bien commun qui servent de mesure d’équivalence lors des épreuves. Or les épreuves de justice peuvent prendre différentes configurations. Une épreuve de justice peut s’opérer à l’intérieur d’une même « cité/monde commun », c’est-à-dire par rapport à un principe supérieur commun donné[46]. Mais parfois, l’épreuve de justice s’opère entre différentes cités/mondes communs. Dans ce cas, des justifications distinctes se rencontrent et la mise en balance s’opère entre de grands principes différents, chacun essayant de faire valoir sa grandeur en tant que supérieure aux autres. Les moments de conflits sont particulièrement éclairants car ils donnent à voir les différentes « visions du monde »[47] attachées à chacun de ces principes et aux logiques de justification qui les accompagnent. Ces moments permettent aussi de comprendre comment un conflit argumenté se résout avec entre autres la construction possible de compromis (et le rôle important des dispositifs).


Une diversité de formes d’accords et de désaccords : description détaillée fournie par Francis Chateauraynaud

Dans l’article « La contrainte argumentative. Les formes de l’argumentation entre cadres délibératifs et puissances d’expression politiques »[48], Chateauraynaud propose sous forme de tableau une description détaillée des formes d’accords et de désaccords. Il y présente différentes configurations possibles (que l’on peut rattacher aux épreuves) en fonction de caractéristiques : types d’instances de référence, symétrie ou asymétrie des échanges, contraintes qui pèsent sur les arguments et motifs de clôture. L’auteur distingue des formes de désaccords qui peuvent être rattachées à différentes configurations d’une épreuve de justice.

Le cas des controverses représente une configuration spécifique où des communautés d’acteurs emploient des preuves tangibles pour peser dans le débat, à la différence par exemple des affaires où il s’agit plutôt de logiques d’accusation et de défense.

La dispute, quant à elle, s’opère entre « monde familier » et peut se terminer par une rupture. D’autres formes telles que le débat public ou le débat national impliquent la mise en place de procédure avec la participation des citoyens mais également du gouvernement pour cadrer les échanges. Dans le cas du débat national, cela nécessite par exemple un travail de synthèse et de coordination pour finaliser le débat sous la forme de « procédure ad hoc » menée par le gouvernement.

Cette grille de lecture proposée par Chateauraynaud m’a aidée dans mon analyse à distinguer plus précisément les différentes configurations des échanges au sein du débat national public (site web de la consultation République numérique) et ce, en fonction du cadrage des échanges sur différents espaces/dispositifs (controverses, disputes, affaires, etc.).


La consultation République numérique en tant que débat national public rappelle une épreuve de justice particulière présentée par Boltanski dans son livre De la critique : précis de sociologie de l’émancipation[49], qu’il nomme une épreuve de réalité. Dans ce cas précis, le rôle de l’État dans sa fonction institutionnelle permet de statuer et « de dire et de confirmer ce qui importe »[50]. En effet, comme le souligne Olivier Alexandre dans une synthèse de cet ouvrage, « la « réalité » consiste en un arrangement arbitraire que les institutions travaillent à stabiliser »[51] notamment en mettant en œuvre des textes de loi (cadre juridique). J’ai en effet rappelé dans le chapitre trois l’importance de l’État, en tant qu’« être sans corps » pour « dire ce qu’il en est de ce qui est » par rapport à un ensemble de parties prenantes qui défendent « ce qui devrait être » en faisant référence à leurs propres visions du monde (cf. 3-1-2).

Le degré de finesse apportée à l’étude des différentes configurations des épreuves de justice par Chateauraynaud et sa mise en relation avec les propos de Boltanski expliquent la raison de mon choix de la consultation République numérique comme cas d’étude spécifique et terrain d’enquête privilégié. Si l’on se réfère à la grille de lecture proposée par Chateauraynaud[52], on peut voir que le huis clos 2.0 de 2013 représente plus « une affaire » sur une logique d’accusation et de défense qui aujourd’hui prend place sur des dispositifs numériques (les réseaux sociaux numériques (RSN) ou les blogs qui touchent un public averti sur cette question). D’autres conversations que j’ai suivies pendant plusieurs années sur des listes de discussions ou des RSN représentent plutôt des moments d’échanges et de réajustements « intra-cités/mondes », qui permettent d’affiner les justifications de chacun sans que cela ne sorte de ces « sphères ». Selon les formes d’expression d’accords et de désaccords proposés par Chateauraynaud, il s’agirait plutôt des « milles milliards de conversations quotidiennes »[53] que l’on arrête puis reprend plus tard dans une relation de réciprocité. Je peux donner en exemple le cas de HackYourPhd et de la veille partagée sur la thématique de l’open science. Celle-ci vient renforcer souvent la même « vision » de ce que devrait être l’open en science (échanges sur la reproductibilité, « bonnes pratiques numériques » du partage de code, etc.).

À d’autres moments, sur les listes de discussion, certains points saillants et de désaccords émergent et donnent lieu à quelques échanges de point de vue, mais souvent sans donner suite, jusqu’à ce qu’une autre situation remette au goût du jour les débats et ainsi de suite. Néanmoins, ces désaccords se transforment parfois en une dispute qui révèlent une divergence de visions et peuvent mener à une rupture. Les chapitres d’analyse (chapitre cinq à huit) exposent différents cas de figure. Mais observer ces différentes configurations n’est possible qu’en faisant de la consultation République numérique une épreuve de réalité (et non plus seulement une épreuve de justice).

La consultation République numérique prend une tout autre dimension avec le rôle d’orchestration des formes d’accords et de désaccords que le gouvernement endosse. Elle représente ainsi un débat national et public. La proposition du projet de loi et le site web participatif qui lui est dédié mènent un ensemble de parties prenantes à s’exprimer en présence de ce « juge ». La dimension publique du débat, mais également l’engagement du gouvernement à prendre en considération les réponses les plus votées, favorise la participation de « citoyens » souhaitant donner leur avis sur la question ou habituellement réfractaires à s’exprimer en public. En effet, l’enjeu même de la rédaction d’un texte de loi amène des personnes et des organisations peu habituées aux logiques publiques de justifications (et à l’emploi de dispositifs numériques) à « jouer le jeu ». On peut ainsi voir la spécificité de cette épreuve de justice, que je rattache ici à une épreuve de réalité. Il s’agit bien d’une épreuve où la tâche de « dire ce qu’il en est de ce qui est » est reléguée à un « être sans corps », sous la figure du gouvernement, qui a des « garanties institutionnelles et souvent de textes réglementaires définissant les procédures pour que l’épreuve soit jugée valide »[54]. Par la proposition du projet de loi puis par sa promulgation, la « justice » a statué et donné une définition de ce que devait être « le libre accès aux publications scientifiques » mais a aussi décidé de sa mise en œuvre[55].

Une autre spécificité de l’épreuve de réalité concerne sa dimension « équipée ». J’ai introduit la notion d’équipement des débats dans le chapitre trois (cf. 3-2) en me référant aux travaux en sciences de l’information et de la communication (SIC). Cette expression souligne le fait que les débats prennent corps dans un ensemble de dispositifs sociotechniques qui en influencent le déroulement et la teneur des propos. Et c’est bien le cas de la consultation qui, en premier lieu et pour permettre à tout un chacun de s’exprimer et de faire valoir son point de vue, s’est outillée d’un site. Mais l’ensemble des actions effectuées sur le site (votes, commentaires, etc.) résulte d’autres activités préalables à cette consultation. Ces activités préexistantes ont mené à cette participation sur le dispositif consultatif. Témoignant de la vivacité des débats, d’autres espaces numériques ont aussi été investis pendant, avant et après la phase de consultation. Les quelques extraits cités préalablement en donnent déjà un bref aperçu.

Question de recherche : contextualisation de la problématique sur le terrain de recherche choisi

La consultation République numérique, comme épreuve de réalité « équipée », a représenté ainsi un point d’entrée pour répondre à la problématique exposée précédemment (cf. 2-3-2)[56]. En prenant comme cas d’étude cette épreuve de réalité « équipée », j’ai au fur et à mesure mieux compris le phénomène que j’observais : celui des reconfigurations actuelles du régime français des savoirs, dont je tâchais de comprendre les dynamiques par l’étude des différentes conceptions défendues de l’open en sciences. Pour prendre une autre métaphore, la consultation République numérique et plus spécifiquement le site de la consultation est le « bout de ficelle » qui m’a aidée à détricoter cette pelote de laine aux multiples nœuds qu’il a fallu dénouer pour donner à voir l’imbrication de différentes conceptions du régime des savoirs dans les débats sur l’article 9.

Dans le cadre de ce terrain de recherche, je peux ainsi énoncer ma question de recherche :

Qu’est-ce que l’étude des échanges sur l’article 9 portant sur le « libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique » lors de la consultation République numérique révèle sur les différentes conceptions associées au régime des savoirs et leurs dynamiques de reconfigurations ?

Cette présentation formelle d’une question de recherche ne représente évidemment pas toute l’étendue de la démarche de recherche et d’affinage progressif et itératif. Dans une démarche par théorisation ancrée, la question de recherche n’a été formulée qu’à une étape avancée de l’analyse et a fait l’objet d’un affinage successif. Je vais désormais présenter l’approche que j’ai employée pour répondre à cette question et à l’objectif fixé dans la démarche par théorisation ancrée, soit la production d’un schéma général d’interprétation du phénomène étudié au termes des étapes de codages successifs (modélisation menant à une théorisation). Je détaille dans les sous-sections suivantes les étapes de codage successif associées aux mouvements spécifiques de l’enquête.

4-2 Approche ethnographique numérique et mouvements de la recherche

4-2-1 Itération et mouvements : une démarche propre à la théorisation ancrée

Dans l’introduction de la deuxième partie, j’ai donné quelques éléments caractéristiques de la démarche par théorisation ancrée. L’approche compréhensive ancrée dans le terrain s’appuie sur une conception circulaire et itérative des phases de la recherche. Il n’y a pas, dans cette perspective, un premier moment de définition du cadre théorique, puis une collecte des éléments empiriques, suivi de l’analyse à proprement parler des éléments collectés. Les moments se répondent et se complètent tout au long de la recherche[57].

C’est pour cette raison que j’emploie la notion de mouvements plutôt que d’étape de recherche : ces phases se sont croisées et construites en parallèle et ont été complétées tout au long du processus. Une autre caractéristique de la démarche concerne le recueil des éléments empiriques (expression préférée au terme « données »). La collecte peut faire appel à différentes méthodes. Elle peut être réalisée sous la forme d’entretiens, de questionnaires mais également via l’étude d’éléments de presse ou bien encore en recueillant des éléments par une approche ethnographique[58].

Le recueil d’informations peut se faire tout au long de la recherche. En effet dans cette démarche, l’idée est de construire une interprétation d’un phénomène, une théorisation et une grille de lecture (modélisation) dont la finalité est d’être expérimentée sur d’autres terrains d’études (critères de scientificité).

Enfin, l’approche s’accompagne également d’une démarche particulière d’analyse des matériaux collectés. L’analyse ne repose pas sur l’emploi de catégories a priori mais consiste en des étapes de codage et une catégorisation successive des éléments empiriques pour amener, au fur et à mesure, à une conceptualisation du phénomène que l’on observe. Les contours de cette conceptualisation sont flous au départ de la recherche et s’affinent petit à petit. L’ensemble du processus est documenté par des comptes rendus et notes permettant de suivre le cheminement d’analyse. Cela donne lieu à la rédaction de scénarios descriptifs en fin de recherche[59]. Dans ce sens, le rapport final permet de raconter l’histoire même du phénomène à l’étude, une histoire dont j’ai donné quelques bribes dans l’introduction générale et dans la première section de ce chapitre.

Ci-dessous, j’approfondis la présentation de l’approche ethnographique numérique que j’ai développée et les raisons de ce choix. J’insiste en premier lieu sur les avantages et les inconvénients que représente un recueil d’informations sur des terrains numériques et comment l’emploi des méthodes numériques permet de pallier les difficultés, tout en développant une réflexivité critique et technique quant à leurs usages. Je fais ensuite une rétrospective sur les différents mouvements de la recherche qui ont accompagné l’enquête pour aboutir à la présentation de l’analyse du phénomène à l’étude.

4-2-2 Approche ethnographique numérique

Ce qu’implique des « recherches numériques »

Pour recueillir les éléments empiriques, je me suis appuyée sur une approche que je nomme « ethnographie numérique ». Le terme numérique indique ici la nature des terrains d’observation (majoritairement en ligne) ainsi que les méthodes numériques qui sont venues soutenir l’observation et l’analyse[60]. Il m’a semblé utile de convoquer mes connaissances, acquises par mon implication personnelle à certains collectifs de l’open, des espaces où les discussions et débats prennent place autant que des personnes impliquées.

Connaître ce milieu a constitué à la fois un avantage certain mais la source aussi de difficultés, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, mes investigations passées se limitaient à quelques espaces d’échanges privilégiés et ne me donnaient donc pas accès à tous les points de vue (et bien sûr toutes les discussions) à ce sujet (tout en ayant conscience que l’exhaustivité n’est pas possible en sciences humaines et sociales). Il m’a fallu donc procéder à une « dés-immersion » présentée en introduction de cette deuxième partie pour pouvoir entrer dans mon terrain d’enquête, y développer une posture de recherche spécifique et mobiliser l’appareil réflexif associé.

Une autre difficulté concernait la nature même - multiple, variée, protéiforme - des espaces dans lesquels les échanges et les discussions se déroulent. Mener une approche ethnographique aujourd’hui consiste à prendre en considération les multiples terrains d’enquête et le rapport que le/la chercheur.e entretient avec chacun d’eux[61]. De ce fait, le ‘numérique’ amène presque inéluctablement à une « ethnographie multi-située »[62]. Dès 1995, par cette expression, George Marcus souhaite insister sur le passage d’une analyse « de site unique et de situations locales de la recherche ethnographique conventionnelle [à l’étude de] la circulation de significations culturelles, d’objets et d’identités dans des espace-temps diffus » (traduction libre)[63]. Bien que cette notion ait été « pensée » avant le déploiement d’Internet, elle fait écho aujourd’hui aux modalités nécessaires pour toute enquête impliquant des terrains numériques ou virtuels. Il s’agit en effet aujourd’hui d’observer et de comprendre des communautés en ligne dans leur caractère diffus en termes géographique et proches en termes d’échanges, dans l’identité et les conceptions qu’elles partagent et se forgent sur ces espaces. Des travaux plus récents, tels ceux développés par Christine Hine, soulignent la particularité même des études sur Internet qu’elle caractérise par trois qualificatifs Embedded, Embodied and Everyday Internet (E^3 Internet)[64].

De prime abord, ces terrains numériques peuvent cependant donner un sentiment de facilité. Il semble aisé aujourd’hui de s’inscrire à une liste de discussion, de rejoindre un groupe et de suivre les échanges qui s’y déroulent. Cette démarche presque immédiate et « spontanée » implique cependant de questionner le rapport au terrain, aux enquêtés et à un clair-obscur, discuté par Dominique Cardon[65]. Ce clair-obscur propre au ‘numérique’ nécessite, pour lever le voile, une démarche éthique et une prise en considération de la diffusion des connaissances émises (cf. introduction de cette partie).

La facilité de recueil d’informations empiriques présente un autre revers de la médaille car face aux nombreuses data qu’il semble possible de capter, l’envie est de vouloir tout enregistrer et, pour ce faire, d’employer des méthodes numériques d’analyse et de visualisation pour donner du sens à des données « massives »[66].

L’emploi de méthodes numériques en soutien à l’analyse qualitative : l’effet « waouh » du numérique

Comme le mentionne Hélène Bourdeloie, « ([d]ès lors que l’on travaille sur les usages du web, la nature du terrain est modifiée et tout chercheur déployant des méthodologies qualitatives se trouve, quoi qu’il en soit, exposé à des données quantitatives qu’il devra maîtriser ou alors s’armer de nouvelles compétences »[67]. Le travail sur les terrains numériques avec des data à « portée de clic » invite à adapter les « méthodes classiques » de recherche aux nouvelles pratiques mais également à effectuer une certaine prise de recul quant à leur usage. En effet, en tant que chercheur.e, on peut aussi se laisser porter par « la magie du numérique ». Pour remédier à une déferlante de data, les méthodes numériques sont souvent considérées comme la nouvelle solution : capter le déploiement d’une affaire en suivant un hashtag (les #Gate ne manquent pas aujourd’hui sur Twitter), visualiser le réseau des acteurs impliqués dans une controverse par une analyse de réseau, ou bien encore prendre un corpus d’échanges et en faire une lecture à distance (distant reading) par des méthodes de traitement automatique des langues (TAL). C’est un glissement vers un « tout numérique » où l’on peut facilement se laisser emporter en oubliant les interstices où se situent véritablement les leviers de compréhension. Toute personne peut aussi se laisser prendre par des visualisations de données en oubliant l’ensemble des étapes et des choix qui ont présidé à ces représentations particulières. Tout l’enjeu est donc d’employer les méthodes numériques tout en pensant à ce qu’elles produisent comme résultats mais aussi à leurs limites, afin de ne pas « aplanir le social » et sa complexité[68].

Mon travail de thèse consiste ainsi à réfléchir à cette articulation entre approche ethnographique et emploi de méthodes numériques. L’objectif a été de me servir de ces méthodes en tant que soutien et de les questionner tout au long du processus doctoral. Face à la diversité des terrains d’observation possibles, la multiplicité des espaces, le foisonnement des échanges et des débats, la première étape de cette démarche ethnographique numérique a consisté à trouver un point d’entrée. Ce point d’entrée, comme nous l’avons vu en début de chapitre, est la consultation République numérique et son site web. Je parle de point d’entrée car dans cette approche ethnographique, il s’est agi de suivre les acteurs dans les nombreux espaces et dispositifs qu’ils emploient et d’en retracer les dynamiques. Et cela engendre vite de faire face à un nombre important d’informations recueillies. Les méthodes numériques apportent alors de nouveaux outils qui s’adaptent à l’observation de ces terrains particuliers. Elles peuvent aussi aider à l’organisation méthodique du corpus tout comme participer au partage et à l’échange d’une recherche « en train de se faire ». En présentant maintenant les mouvements de l’étude de ce terrain, j’illustre la façon dont les méthodes numériques se sont intégrées à mon parcours de recherche.

4-2-3 Mouvements de l’enquête : phases et parallélismes

Pour étudier le moment particulier de la consultation République numérique et plus spécifiquement l’article 9 sur le « libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique », mon enquête s’est construite en plusieurs mouvements. Cela m’a permis de capter la richesse des échanges tout en prenant en considération le déploiement de l’argumentation sur divers espaces en ligne et hors ligne. Les mouvements peuvent se résumer ainsi et se sont accompagnés de l’usage d’outils ou de méthodes numériques (mentionnés en italique) :

• 1/ étude du positionnement des acteurs concernant l’article 9 sur le site de la consultation à l’aide d’une cartographie de similarité des votes (méthodes d’extraction automatique des données, « scraping », analyse de réseaux et visualisation à l’aide du langage de programmation python et du logiciel Gephi.)

• 2/ suivi du déploiement des échanges sur d’autres espaces/dispositifs mobilisés par les participant.e.s et constitution d’un corpus de documents écrits à analyser (organisation du corpus avec les logiciels Nvivo[69] ainsi qu’avec Zotero.)

• 3/ analyse de ce corpus en suivant la méthode d’analyse par théorisation ancrée permettant au final un croisement de ces différents éléments (analyse du corpus avec l’aide Nvivo) et une synthèse finale de l’analyse.

Il est important de comprendre que les trois mouvements n’ont cessé de se répondre tout au long de ma recherche. Pour cela, un schéma a été réalisé par Pascal Jollivet-Courtois pour aider à la compréhension des mouvements (cf. figure 9).

L’étude en première phase du site de la consultation et l’étude du positionnement des acteurs sur la cartographie (mouvement 1) s’est accompagnée d’un premier travail d’analyse qualitative du corpus des échanges sur le site de la consultation, puis d’une analyse du déploiement de ces échanges sur d’autres espaces (listes de discussion principalement) pour venir enrichir le corpus (mouvement 2). Ceci a permis de réaliser les premières étapes de codage d’analyse par théorisation ancrée, (mouvement 3) détaillées par la suite dans la sous-section 4-3-2, ce qui a orienté le regard et l’analyse de la cartographie (mouvement 1). Cela s’est accompagné de nouveau de l’exploration d’autres espaces et la complétion du corpus (mouvement 2) pour affiner l’analyse et ainsi de suite. Tout ceci s’est fait dans des allers-retours permanents symbolisés par les flèches de rétroaction.

Figure 9 - Schéma récapitulatif des différents mouvements de l’enquête. Le mouvement 1 correspond à l’étude du positionnement des acteurs à l’aide d’une cartographie des votes. Le mouvement 2 est lié au suivi du déploiement des débats avec la constitution du corpus. Le mouvement 3 constitue l’analyse du corpus par la théorisation ancrée. Les flèches a, b, c soulignent que ces mouvements se sont répondus dans une démarche itérative tout au long de l’enquête. Le schéma a été réalisé par Pascal Jollivet-Courtois.

Ces phases se sont répétées et ont été accompagnées de lectures théoriques pour une « mise à l’épreuve » de différents concepts jusqu’à une certaine « stabilisation théorique » présentée dans le chapitre trois. Les allers-retours ont permis une progression dans les étapes de codage successif jusqu’à la proposition d’une théorisation du phénomène à l’étude (cf. section suivante).


Retour sur les orientations et choix des concepts théoriques

Concernant l’exploration théorique menée lors de mon doctorat, l’approche cartographique m’orientait davantage au départ vers une « entrée par les acteurs », à savoir une lecture du phénomène en considérant des individus attachés à des « mondes sociaux » (cf. 3-1-2). Même si la démarche en Grounded Theory ne se rattache pas à un cadre théorique précis, plusieurs travaux de recherche y emploient les concepts théoriques issus de l’École de Chicago (Cf. introduction partie deux). J’ai par exemple été très intéressée par les travaux d’Adèle Clarke[70] (situational analysis) et par l’approche écologique des « mondes sociaux »[71]. Cette démarche s’est finalement révélée inappropriée. En enfermant les acteurs dans un « monde » donné, celle-ci ne permettait pas, en effet, de prendre en considération « la pluralité des voix » qu’un même individu pouvait faire entendre.

J’ai fait le choix par la suite d’une approche par les discours et un appui sur les éléments de la sociologie pragmatique de la critique, ainsi que les travaux plus récents sur les controverses numériques et leur « équipement » (SIC) afin de prendre en considération la dynamique des échanges sur de multiples espaces/dispositifs. Les premiers résultats de mon codage m’ont aussi rapidement confirmé le choix de mon exploration autour de la notion de « régimes des savoirs ». J’y reviens dans ce chapitre dans la sous-section 4-3.


Je développe plus en détail, dans la section qui suit, les différents mouvements de la recherche tout en apportant un éclairage spécifique sur les méthodes et outils numériques employés et les raisons de ces choix.

1/ Cartographie des votes sur le site de la consultation République numérique : « une entrée par les acteurs »

La première phase consistait à concentrer l’analyse sur le site web de la consultation, car il constituait l’espace de cristallisation de différents avis émis sur l’article 9 et un lieu d’expression publique des parties prenantes qui font valoir cet avis auprès du gouvernement. Dans cette première phase d’étude, l’objectif était d’obtenir un aperçu de la participation des acteurs sur l’article 9 et de leurs prises de position afin de faire une analyse initiale des différents points saillants et des principales parties prenantes du débat. Devant le grand nombre de contributions (votes, propositions d’amendement et commentaires) et la difficulté à représenter l’intégralité de l’activité des personnes y participant, j’ai réalisé une cartographie des débats avec l’aide de Constance de Quatrebarbes, ingénieuse de recherche (extraction des données, constitution d’une base de données relationnelles et visualisation cartographique).

Le développement d’une cartographie dynamique (avec des scripts sigma.js) s’est avérée utile pour zoomer et dézoomer et surtout pour m’attarder sur quelques nœuds à la jonction de groupes afin d’explorer plus en détails certains profils (cf. figure 10). J’ai ainsi navigué dans la cartographie et retrouvé des « acteurs/organisations familières » mais également pris en considération des individus/organismes que je connaissais moins. Si cette cartographie a été un outil utile pour élargir mon regard sur ces débats, elle s’est accompagnée également d’une réflexion critique quant à ce que ces méthodes « font » à la production de connaissances[72].

Figure 10 - Cartographie dynamique basée sur la similarité des votes sur l’article 9 lors de la consultation République numérique. L’option de zoom et de dézoom (loupe + et – ) permet de « naviguer » dans la carte et regarder plus en détail certaines parties. Le détail de la construction de la cartographie réalisée avec Constance de Quatrebarbes est disponible sur le site Github et en annexe. L’analyse de la cartographie est détaillée dans l’introduction de la troisième partie puis dans la suite des chapitres d’analyse.


Terrains et approche cartographique : quelques éléments de réflexivité

L’emploi de cette méthode numérique cartographique m’a aidée à prendre du recul sur les débats et est venu assister la « partialité propre du positionnement du chercheur »[73]. Je reprends cette dernière expression d’un article de Mathieu Quet « L’art narratif dans les controverses globales »[74]. L’auteur revient sur l’observation toujours partielle que l’on peut faire d’une controverse. L’important, précise-t-il, est d’« assumer la partialité du positionnement du chercheur, tout en essayant de maximiser sa pertinence au regard de la multitude de discours produits dans le cadre d’une controverse »[75]. Il ajoute que, dans ce cadre-là, il s’agit de « recueillir des paroles, des positionnements situés tout en les “dépliant” pour réfléchir aux types de connections que ces paroles, ces actions entretiennent avec les acteurs situés hors du champ de l’observation. »[76]

Ainsi, l’étude du site de la consultation et la constitution d’une cartographie ont été une façon d’outiller mon regard et d’agrandir mon champ d’observation. Il n’y avait donc aucunement dans cette démarche une prétention à l’exhaustivité mais plutôt matière à une réflexivité sur ce regard « qualitatif » limité (sans aucune connotation négative). J’aspirais ainsi à me laisser surprendre par cette représentation cartographique.

Ces propos sont à mettre en parallèle avec la notion de « composite » proposée par Joëlle Le Marec. Dans son article « Situations de communication dans la pratique de recherche : du terrain aux composites »[77], l’auteure revient sur le rapport à la démarche empirique au sein des sciences de la communication. Elle souligne la nécessité d’une attitude réflexive sur la représentation même que l’on se fait du terrain, et de considérer un terrain « élargi », c’est-à-dire qui prend en considération l’ensemble des situations dans lesquels les conditions de recherche s’élaborent au fil des années. Le Marec souligne aussi cette hantise du biais dans le champ des sciences humaines et sociales et la volonté de se référer à un terrain et à des données empiriques. Elle rappelle l’importance de considérer nos propres schémas implicites qui guident nos actions et nos pratiques communicationnelles.

Cette réflexivité s’est traduite dans ma recherche par la prise de conscience de l’évolution de mon rapport aux milieux scientifiques, académiques, professionnels que j’ai côtoyés et côtoie. Les termes qui me sont venus alors sont ceux de « dés-immersion » et d’immersion. Par la tenue d’un journal de bord, j’ai tâché de suivre ces évolutions à la fois communicationnelles mais aussi cognitives. Par exemple, j’ai pris du recul par rapport à mes activités de communication (conférences, etc.) au sein de HackYourPhD lors de mon doctorat. Je parle d’évolution cognitive car le doctorat m’a permis de me rendre compte de mes propres conceptions de l’open et de les faire évoluer. J’y reviens dans le dixième chapitre en guise de conclusion réflexive.


D’autre part, l’analyse ne s’est pas limitée au mouvement 1 (cf. figure 10) puisqu’il a été question de prendre en considération ce qui se passe hors du site de la consultation et de la phase consultative. Il s’est agi aussi de questionner ce que les silences ou l’absence de certains acteurs lors de ce moment et sur cet espace peut aussi révéler. Les silences sont ainsi objet d’analyse des discours comme le souligne Clarke dans son livre Situational Analysis: Grounded Theory After the Postmodern Turn[78]. L’attention spécifique « à ce qui se passe en coulisse » a été réalisé dans un deuxième mouvement afin de comprendre la dynamique même des débats. J’ai ainsi retracé, à partir du site web et de la phase consultative, le déploiement des échanges sur d’autres espaces et temporalités, pour recueillir, au fur et à mesure, d’autres éléments et les soumettre à l’analyse.

2/ Dynamique des débats et autres espaces mobilisés : la prise en considération des temporalités et des cadres multiples

La cartographie a plusieurs limites. Tout d’abord, elle représente une capture figée des échanges à la fin de la consultation. La participation concernant l’article 9, lors de cette consultation, n’est que la face émergée d’un ensemble d’autres espaces et de stratégies employées pour réussir à mobiliser et à amener un ensemble d’individus à voter, commenter, sur la plateforme. Avant, pendant et après la consultation, les échanges se sont déroulés dans d’autres espaces hors ligne/en ligne. Il a donc été question de comprendre le déploiement des échanges et les autres cadres et configurations qu’ils prennent. D’autre part, comme précisé précédemment, l’approche cartographique privilégie « une entrée par les acteurs » en faisant une capture du positionnement des acteurs à un instant donné et sur le site web de la consultation en particulier. Or, il s’est avéré très vite que cette approche « enfermait » les participants (instituts, individus, etc.) dans un rôle spécifique et figé. Pour cette raison, la suite de mon analyse s’est portée sur les discours eux-mêmes tout en prenant en considération le contexte et la « matérialité » des échanges (message adressé au gouvernement, design de la plateforme qui obligeait à un certain type de réponse, etc.). Par la suite, je me suis donc basée sur une approche croisée, entre sociologie pragmatique et science de l’information et de la communication, pour considérer qu’une personne/organisation peut représenter différentes figures-types en fonction de la situation. (cf. 3-1-2).

Mes « connaissances de terrain » depuis 2013 se sont ici révélées tout particulièrement utiles pour retracer un ensemble d’espaces/dispositifs en ligne (mais aussi hors ligne) mobilisé lors de la consultation. La cartographie m’a néanmoins aidée à me tourner vers des espaces et cadres moins familiers (milieu culturel et de l’édition francophone). J’ai ainsi constitué un corpus de textes que j’ai analysé (mouvement 3) au fur et à mesure. En suivant le concept d’échantillonnage théorique, le corpus s’est également enrichi au fil de l’enquête.

Le corpus final comprend une centaine de documents provenant d’espaces variés (numériques majoritairement) et s’étend sur une plage temporelle plus large que le simple temps de la consultation. Pour donner quelques exemples de la variété des documents, il peut s’agir aussi bien de captures d’écran des pages de la consultation République numérique, d’articles de presse, de publications scientifiques et académiques, de rapports d’expertise ou bien encore de billets de blog et d’extraits de listes de diffusion. Même si mon corpus porte essentiellement sur les différents échanges concernant l’article 9 lors de cette période, je me sers également d’autres documents, tels que des conversations sur des listes de discussion pré et post-consultation, ou bien des articles de revues scientifiques plus anciens ou publiés après la consultation. Pour ce faire, et dans l’optique de donner à voir les méthodes numériques que j’ai employées, je me suis aidée de plusieurs logiciels pour organiser l’ensemble des documents : d’une part N-vivo, logiciel d’accompagnement d’analyse qualitative, mais également le logiciel Zotero pour partager le corpus en ligne et en réaliser une frise chronologique (en plus de l’aide apportée pour la rédaction de ce document)[79].


Organisation du corpus, citation des verbatims, questionnements éthiques et juridiques

Les modalités de présentation de mon corpus et des verbatims ont été au cœur des réflexions éthiques que je me suis posées jusqu’à la toute fin de la rédaction de ma thèse. Comme présenté dans l’introduction générale puis dans l’introduction de cette partie, il s’agissait de ne pas mettre en avant les propos des personnes impliquées dans mon enquête même si ils/elles s’exprimaient de façon publique. J’ai cité, dans l’introduction générale, les réflexions de Guillaume Latzko-Toth et Madeleine Pastinelli à ce sujet[80]. Sur les terrains numériques, les auteurs invitent à dépasser l’habituelle dichotomie public/privé pour guider des décisions éthiques et plutôt prendre en considération la question de la mise en visibilité et de l’éclairage donné aux propos de personnes s’exprimant en ligne.

J’ai essayé au mieux de construire/ « bricoler » un cadre éthique qui me semblait correspondre à ma posture de recherche, c’est-à-dire montrer la diversité des conceptions de l’open tout en tâchant de ne pas prendre parti dans mon analyse, bien qu’ayant mes propres conceptions et avis sur ces questions. Dans cette optique, j’ai opté pour des notes de fin de chapitre regroupées en fin de document et une annexe avec les sources. L’objectif était de ne pas donner un accès immédiat dans le corps de la thèse au nom des auteur.e.s des billets de blogs, articles scientifiques et académiques, utilisés dans mon corpus.

Pour les extraits du site web de la consultation, je n’ai pas indiqué le nom des personnes dans les sources mais seulement le nom des organisations. J’ai également caché le nom des individus sur les captures d’écran. Cependant, cela ne répond que de façon partielle à un questionnement juridique plus large. Réaliser des captures d’écrans d’un site web nécessiterait normalement de demander l’autorisation au propriétaire du site avant de le diffuser dans mon document.

Pour les extraits verbatim de liste de discussion/diffusion, je cite également la liste concernée et son origine sans indiquer le nom des personnes qui s’y expriment. Si un verbatim est cité, cela signifie que la liste de discussion est soit disponible en ligne sans inscription ou abonnement, ou bien que j’ai demandé préalablement l’autorisation de citation aux membres de la liste. J’ai bien conscience du caractère « bricolé » de ce cadre, mais on touche ici des questions juridiques et éthiques assez nouvelles et complexes qui ne font pas encore toutes l’objet de règles et de normes bien statuées en recherche ni de consensus. Un des exemples flagrants est par exemple celui du text et data mining (cf. chapitre huit), qui était une pratique déjà employée en sciences alors que son autorisation n’a été donnée que très récemment en France pour la recherche cette même loi pour une République numérique.

Pour celles et ceux qui s’intéressent au côté « geek », l’ensemble du corpus analysé a été organisé et trié sur le site de gestion bibliographique Zotero dans le groupe HackYourPhD. Une version augmentée du document est envisagée par la suite pour montrer les différents outils employés lors de ma recherche doctorale, dans une « démarche open science » et d’un idéal de transparence quant aux processus de construction des connaissances produites dans ma thèse. Je reviens sur ce dernier point en conclusion dans le chapitre dix.


3/ Analyse du corpus et modélisation

Le troisième mouvement consiste en l’analyse des différents éléments recueillis. Ce travail d’analyse a commencé dès le début de la collecte des éléments du corpus et en même temps que l’analyse de la cartographie (mouvement 1). Le corpus principal s’est ainsi nourri tout d’abord des échanges autour du site web de la consultation République numérique (soit l’article 9 et les différentes modifications proposées ainsi que les commentaires et sources), mais aussi des listes de discussion. Le corpus s’est rapidement étoffé par des billets de blog, des tribunes et articles de médias généralistes. L’analyse a donc bien été ici qualitative et je me suis basée sur les méthodes d’analyse développées au sein des démarches par théorisation ancrée. Celles-ci reposent sur une étude progressive des matériaux collectés avec différentes étapes qui visent à affiner au fur et à mesure les catégories et l’interprétation. Je me suis référée à l’ouvrage de Christophe Lejeune Manuel d’analyse qualitative : analyser sans compter ni classer[81] ainsi qu’à l’article de Pierre Paillé « L’analyse par théorisation ancrée »[82].

Je présente dans la dernière section de ce chapitre les trois grandes étapes d’analyse définies par Lejeune (codage ouvert, axial et sélectif) en les nourrissant également des propos développés par Paillé qui précisent quant à lui cinq étapes avec à chaque fois des grandes questions pour guider l’analyse. Les propos de Paillé offrent plus de détails sur les dernières étapes de l’analyse (soit l’intégration, la modélisation et la théorisation). La figure 11 ci-dessous résume les trois grandes étapes de codage présentées par Lejeune (ouvert, axial et sélectif) avec une imbrication des étapes proposées par Paillé.

Figure 11 - Schéma résumant les différentes étapes de codage dans l’analyse par théorisation ancrée. Les trois étapes de codage décrites par Lejeune (ouvert, axial et sélectif) ont été combinées avec les étapes proposées par Paillé. Le codage axial comporte ainsi l’étape de mise en relation et de catégorisation. Le codage sélectif se constitue des étapes d’intégration, de modélisation et de théorisation.

Le codage ouvert, axial et sélectif permet de distinguer différents niveaux de conceptualisation successifs, même si dans la recherche à proprement parler il n’est pas si aisé de délimiter le passage d’une étape à l’autre. Jusqu’à la toute fin de la recherche, les itérations sont normales afin de vérifier, affiner à nouveau des notions, les termes employés. De plus, l’analyse par théorisation ancrée ne représente qu’un des mouvements de l’enquête (cf. figure 9).

La phase suivante permet de schématiser le processus de codage :

• La première étape consiste en un codage ouvert, c’est-à-dire une codification large basée sur un travail d’étiquetage expérientiel[83]. On définit les étiquettes dans le but d’en dégager des propriétés.

• La seconde consiste en un codage axial que l’on peut associer aux étapes de catégorisation et de mise en relation proposées par Paillé[84]. Par rapport aux premières étiquettes, on dégage des propriétés qui, articulées entre elles, forment des catégories. Ce travail se fait donc par une mise en relation que l’on peut considérer comme des tests d’articulation (d’où le terme axial). Paillé précise notamment que l’étape de mise en relation peut faire appel à une approche théorique pour définir plus précisément des concepts et mieux comprendre leur articulation (démarche que j’ai suivie, parmi d’autres).

• La dernière étape consiste quant à elle à un codage sélectif, qui tend à affiner les catégories et à les intégrer afin de développer des scénarios permettant d’expliquer le phénomène à l’étude. Le codage sélectif englobe les trois dernières étapes du processus décrit par Paillé, à savoir l’intégration, la modélisation et la théorisation à proprement parler. Cette dernière étape constitue une « tentative de construction minutieuse et exhaustive de la « multidimensionnalité » et « multicausalité » du phénomène étudié »[85].


Etiquettes propriétés et catégories : trois notions importantes à comprendre en théorisation ancrée

Trois grandes notions sont importantes à considérer pour comprendre le principe de l’analyse par théorisation ancrée : les étiquettes, les propriétés et les catégories. Les trois notions peuvent s’entremêler mais il faut les considérer comme différents niveaux de conceptualisation successifs qui amènent au fur et à mesure à se détacher des informations du terrain pour s’approcher d’une théorisation du phénomène étudié.

Ainsi, au départ, le phénomène n’apparaît pas clairement (d’où une exploration de terrain assez libre). Ce sont dans les dernières étapes seulement où l’on voit se dessiner plus clairement le phénomène. Toute l’analyse et la présentation des résultats consiste à décrire ce phénomène et d’en comprendre sa dynamique, autrement dit de saisir « le comment ». Les étiquettes sont proches du terrain et amènent petit à petit à définir ce que l’on appelle des propriétés : des éléments qui permettent de caractériser une catégorie soit un concept.

L’analyse consiste à faire ressortir progressivement les propriétés puis les catégories et d’en comprendre leur articulation. Les propriétés s’articulent entre elles pour donner une catégorie. Les catégories s’articulent entre elles pour donner un modèle. S’opère ainsi un incessant travail d’affinage et de remodelage des propriétés et des catégories en fonction de l’ajout de nouveaux éléments empiriques pour répondre aux questions posées en cours d’analyse : le principe même d’échantillonnage théorique. Étiquettes -> propriétés -> catégories -> modèle


Pour retracer ce cheminement, la rédaction de comptes rendus mais aussi la schématisation permettent de garder trace des différentes étapes de codage et de l’affinement successif des catégories. Concernant les méthodes numériques, j’ai employé le logiciel Nvivo pour organiser l’ensemble de mes sources mais également des outils de mind mapping/ carte mentale pour réaliser les premières modélisations. À la fin du processus, lors du codage sélectif, des scénarios ont été rédigés pour permettre ensuite de dégager « l’intrigue » du phénomène à l’étude (compte rendu de scénario analytique), d’expliquer le déroulement de l’analyse et de rendre compte de ces différentes étapes (compte rendu de scénario sur le déroulement de la recherche)[86].


Déterminer le point final de l’analyse ?

À quel moment le processus peut-il est considéré comme achevé ? Dans ces approches, on parle de phase de saturation, c’est-à-dire le moment où la modélisation opérée permet de répondre aux questions que l’on se posait au départ. De la modélisation, on passe à la théorisation en vérifiant au fur et à mesure la pertinence de son analyse.

La théorisation, comme le rappelle Paillé, est autant un processus qu’un résultat que l’on consolide de différentes manières tout au long de l’étude. L’échantillonnage théorique en fait partie : on soumet de nouvelles informations recueillies à l’analyse en cours, puis à la modélisation. La vérification des implications théoriques du modèle est une autre façon de procéder.

Dans le cas de ma recherche, la vérification a consisté à questionner la pertinence de la théorisation ancrée issue de l’étude d’un agencement sociétal particulier (le régime des savoirs). Pour cela, j’ai mis en perspective ma modélisation à l’étude d’un autre agencement sociétal (la démocratie). Le projet de loi République numérique et le temps de consultation en tant que tel représente en effet un moment particulièrement propice pour analyser différentes conceptions de la démocratie. J’expose ce point dans le neuvième chapitre, qui constitue l’un des deux chapitres finaux de synthèse.

La vérification du modèle s’est aussi faite par le regard porté sur de multiples autres moments d’échanges, de débats et de désaccords sur l’open, observés dans mon « quotidien » de doctorante (aussi bien par l’usage de différents outils numériques pour mener à bien ma recherche bibliographique, que le suivi de listes de discussion de recherche, ou la lecture d’articles de recherche.) L’open étant un sujet « à la mode » en 2017-2018, les occasions n’ont pas manquées pour confronter mon analyse avec l’actualité.

J’ai pu observer, par exemple, l’affaire Sapir et les critiques faites contre les dérives autoritaires de plateformes institutionnelles[87], mais encore été témoin de la mise en place de mesures institutionnelles associées à la science ouverte en France (appel de Jussieu[88], création d’un poste de conseiller scientifique de la science ouverte au sein du Ministère de la Recherche, plan national de la science ouverte, etc.).

La fin de la thèse a été synonyme également d’une reprise de ma participation à des événements sur l’open en tant que co-fondatrice de HackYourPhD, un rôle de représentation et de coordination que j’avais préféré mettre de côté lors de mon immersion doctorale. Les conférences auxquelles j’ai pu participer (Mozilla Science Lab, Open World forum, ESOF 2018, etc.) ont aussi été des moments pour vérifier la théorisation que je proposais.

Le point final de l’analyse dans le cadre de mon doctorat (mais peut-on vraiment mettre un point final dans une démarche de recherche ?) s’est traduit par un choix, celui d’arrêter de considérer les milieux de la recherche et associatifs que je côtoie et côtoyais comme un terrain de recherche. Il a été plutôt question d’abandonner la perspective de tout vouloir suivre. Ce choix a été synonyme d’un soulagement lorsque j’ai arrêté de lire quotidiennement les mails reçus de listes de discussion annonçant la parution de nouvel appel à communication sur les multiples axes de recherche sur le ‘numérique’ en SHS, ou bien des messages relayant les dernières actualités de l’open assortis d’éternels débats d’idées. L’expérience formatrice et transformatrice du doctorat, en s’achevant se traduit aussi par la construction de nouveaux projets associatifs avec HackYourPhD et de formation avec DRISS. Je détaille ces derniers éléments dans le chapitre dix en tant que « mots de la fin ».


Les étapes de codages ayant été présentées de façon théorique, je vais maintenant les documenter et les illustrer à travers des exemples concrets issus de mon analyse et du processus d’interprétation successif. J’expose maintenant des illustrations des deux premières étapes (codage ouvert et axial). Le codage sélectif est quant à lui abordé en introduction de la troisième partie car il représente la modélisation en tant que telle, expliquée ensuite tout au long des chapitres d’analyse (chapitre cinq à huit).

4-3 Récit d’analyse : illustration par quelques exemples des étapes de codage ouvert et axial

4-3-1 Codage ouvert et étiquetage expérientiel

La première étape du codage consiste à mettre des étiquettes sur le corpus. Ce premier travail d’analyse du corpus a pour visée de tirer du sens à partir des extraits du corpus. Pour reprendre les questions de Paillé, il s’agit de se demander « Qu’est-ce qu’il y a ici ? Qu’est-ce que c’est ? De quoi est-il question ? »[89] Lejeune parle alors d’étiquetage expérientiel pour dissocier cette approche d’une « indexation thématique ». Le but ici n’est pas de classifier, en créant des codes qui résument le sujet abordé mais de formuler par des étiquettes ce que la personne, en employant le terme, souhaite dire et exprimer. Les étiquettes ont donc pour objectif de nous en dire plus sur le « vécu » des acteurs, leurs ressentis vis-à-vis d’une situation, opinions ou représentations. « Une étiquette analytique est donc une propriété théorique en devenir. »[90]


Extraits du codage ouvert réalisé

Dans le livre Analyser sans compter ni classer, différentes techniques sont présentées pour faciliter l’étiquetage. Par exemple il est préconisé d’utiliser des verbes plutôt que des noms pour coder. L’étiquette peut aussi reprendre les mots des acteurs ou bien être reformulée avec d’autres mots. Voici quelques exemples de codage ouvert effectué :

Si ce volontarisme gouvernemental fait alors débat, c’est notamment parce que les éditeurs et comités de rédaction des revues ont le sentiment que, dans l’affaire, une donnée essentielle est oubliée : l’accès ouvert, comme toute forme de publication, a un coût ; il n’est gratuit que pour le lecteur ou l’utilisateur.

a été codé « rappeler les coûts derrière l’économie numérique. »

Ou un autre :

L’univers digital est complètement submergé de publications en anglais… Il est absolument impératif que la recherche française, en français, soit mise à disposition pour combattre une domination qui occulte complètement le savoir et la langue française sur le net. Il faut que les auteurs et chercheurs français se libèrent de cette attitude protectrice à vouloir garder leurs connaissance secrètes afin, espèrent-ils, de mieux la commercialiser et de mieux en tirer parti. Rester secret dans notre monde digital, c’est la garantie de l’oubli. C’est comme l’épicier du coin: si il ne met pas ses oranges sur l’étal, vous ne les achèterez pas.

a été codé « être visible pour être compétitif ».

BSN facilite également l’accès aux ressources scientifiques documentaires en rendant plus visible le paysage.

a été codé « rendre visible le paysage de la recherche ». On voit dans ce dernier exemple que j’ai repris les termes des auteurs.


Le travail, et il faut bien le comprendre, n’a pas consisté à tout coder intégralement, puisqu’au fur et à mesure de l’avancement de l’analyse, les éléments ajoutés ont le rôle de vérification des grands axes choisis ou bien de leurs articulations. Au départ de la recherche cependant, on effectue un codage minutieux de certaines parties, on parle alors de micro-analyse[91].

4-3-2 Codage axial : catégorisation et mise en relation (propriétés et catégories)

Suite au codage ouvert qui peut générer de nombreuses étiquettes, il faut les articuler pour qu’elles deviennent des propriétés : « Le codage axial part des étiquettes créées lors du codage ouvert et vise à les organiser, les articuler et les intégrer » [92].

Le but du codage axial est de créer des liens entre différents éléments et de comprendre comment ils s’articulent pour définir une notion plus générale. Paillé insiste sur le long travail nécessaire à la création des catégories qui font l’objet d’un modelage tout au long du travail, et qui sont essentielles pour « constituer une base descriptive riche mise en valeur par une analyse précise et soutenue par une logique argumentative solide. »[93].

Pour reprendre les étapes de Paillé, on peut rapprocher le codage axial de la catégorisation « Qu’est-ce qui se passe ici ? De quoi s’agit-il ? Je suis en face de quel phénomène ? et de la mise en relation « Ce que j’ai ici est-il lié avec ce que j’ai là? En quoi et comment est-ce lié ? »

Lejeune mentionne le passage des étiquettes aux propriétés pour cette étape, tandis que Paillé mentionne tout de suite les catégories qui représente l’articulation de propriétés ensemble. La distinction entre propriétés et catégories est en effet subtile, ce qui les distingue majoritairement est leur degré de conceptualisation « L’analyste choisit une étiquette susceptible de devenir la propriété d’une catégorie théorique »[94]. J’ai préféré dans mes exemples détailler les deux étapes : des étiquettes aux propriétés et des propriétés aux catégories, sachant que toute les deux nécessitent un travail de mise en relation.

Des étiquettes aux propriétés


Exemple du codage axial : mise en évidence de propriétés

Le codage axial consiste déjà à regrouper des étiquettes ensemble pour former des propriétés. Par exemple, j’ai défini une propriété « définir les NORMES JURIDICO-ÉCONOMIQUE » en regroupant différentes étiquettes associées à la proposition de normes à instaurer (durée d’embargo, emploi de licences, etc.) dans le cadre de la mise en œuvre de l’open en sciences La capture d’écran (figure 12) ci-dessous est issue du logiciel NVivo. Les premiers nœuds sont les propriétés, les seconds avec une indentation les étiquettes. J’ai mis au fur et à mesure en majuscule les termes majeurs que j’ai repris par la suite (ce qui m’a permis de repérer aisément les éléments allant vers un niveau de conceptualisation plus élevé).

Figure 12a - Capture d’écran d’un extrait du codage axial réalisé avec le logiciel Nvivo : exemple d’une propriété (Définir les NORMES JURIDICO-ÉCONOMIQUE) et des étiquettes associées. Les termes les plus importants « stabilisés » sont marqués en majuscule.

Un autre exemple de propriété « Définir les modalités de GOUVERNANCE » construite et illustrée ci-dessous (cf. figure 12b) concerne les différentes conceptions sur la façon même de gérer l’organisation du partage des connaissances. On voit par exemple la mention de deux logiques (techno-industrielle et informationnelle). Ces dernières informations sont des éléments clefs des autres étapes du codage.

Figure 12b - Capture d’écran d’un extrait du codage axial réalisé avec le logiciel Nvivo : exemple d’une propriété (Définir les modalités de GOUVERNANCE) et des étiquettes associées.

D’autres étiquettes que j’ai construites sont moins associées au contenu des arguments (justifications, critiques, propositions de solutions) mais plutôt aux façons d’argumenter, de se mobiliser et de défendre des propos. J’ai constitué ainsi au fur et à mesure des propriétés telles que « émouvoir par le pathos » ou par exemple « argumenter par le chiffre », présenté ci-dessous (figure 12c).

Figure 12c - Capture d’écran d’un extrait du codage axial réalisé avec le logiciel Nvivo exemple d’une propriété (ARGUMENTER PAR LE CHIFFRE) et des étiquettes associées.


La mise en relation : différentes approches possibles

Pour constituer aussi bien les propriétés que les catégories et opérer le travail de conceptualisation progressive. Le processus important est la mise en relation pour faire émerger les propriétés à partir des étiquettes ou bien les catégories à partir des propriétés. Pour la mise en relation, Paillé souligne que différentes approches sont possibles : une approche théorique, empirique ou logique (spéculative).

Les trois approches de mise en relation, bien que paraissant appartenir à des registres radicalement différents, peuvent être mobilisées avec une égale pertinence et cohérence. Il s’agit pour l’approche empirique d’interroger les éléments du corpus et leur relation. « Comment cette catégorie ou cette propriété est-elle liée à celle-ci ? Comment varient-elles, selon quelles conditions ? »[95] Il est aussi possible d’employer l’approche logique ou spéculative. Par exemple, si j’ai employé une propriété, peut-être qu’une autre la précède ? Mais il est alternativement possible d’employer l’approche théorique et de s’aider d’un modèle conceptuel formel. Paillé précise ici que si les relations sont semblables au modèle théorique, « ce sera un indice intéressant du caractère généralisable de l’analyse qui s’ébauche »[96]. Il fait également remarquer que l’absence de correspondance n’est pas nécessairement à considérer comme un problème alors que ce le serait dans une logique de preuve et de falsification. Elle peut être vue comme une piste à suivre et comme une originalité de la recherche.

Pour la présente recherche, les trois approches ont été employées, et ce, en fonction des périodes de l’analyse. Une approche empirique a tout d’abord été mobilisée, permettant la constitution de différentes catégories. Dans un deuxième temps, au fur et à mesure de l’étude, j’ai procédé à un affinage en m’aidant des différents éléments de contexte présenté dans le premier et le deuxième chapitre et des concepts théoriques présentés dans le chapitre trois. Cela m’a permis enfin, dans une approche logique cette fois-ci, de compléter au fur et à mesure et d’affiner encore les descriptions et le choix d’éléments de corpus additionnels. Plus important encore, cela m’a amenée à questionner le modèle des cités et des mondes communs (cf. 3-1-1) et l’émergence de la « cité par projets » (cf. 3-1-3) puis à en proposer une analyse complémentaire dans la lignée des travaux actuels concernant le ‘numérique’ (équipement des débats, émergence du libéralisme informationnelle, nouvelles formes de mobilisation, etc.) (cf. chapitre dix).

Des propriétés aux catégories

Je décris ici les catégories que j’ai construites au fur et à mesure. Un premier élément important, mis en évidence dès le début de l’analyse, a consisté à comprendre que derrière les échanges sur l’article 9 et la définition de l’open access, ce sont, plus largement, différentes façons de « penser ‘la Science’ » et son organisation qui s’y révèlent.

L’épreuve de réalité donne la possibilité d’observer la défense de différentes conceptions de ce que devrait être un régime de savoirs dans un contexte de plus en plus ‘numérique’.

Dès le début du codage en effet, les différentes propriétés que j’ai fait ressortir représentaient, sans s’y limiter, diverses facettes du « régime de savoirs » : la définition d’un modèle économique, le statut social de ‘la Science’ mais aussi des « Lettres », du chercheur, de l’intellectuel, ainsi que les rapports sciences-société. « Définir un régime des savoirs » est apparu alors comme une catégorie pertinente pour intégrer tous ces éléments. Cette catégorie a subi des évolutions en cours d’analyse dont je détaille ci-dessous le degré d’avancement.


Extrait du codage axial sur Nvivo (catégories et propriétés en cours d’analyse)

Le codage ne représente pas l’analyse définitive.

Définir un régime des savoirs :

- Définir le MODÈLE ÉCONOMIQUE juste

- Définir le STATUT SOCIAL de la Science (ScienceSociété)

- Définir le statut social du CHERCHEUR : AUTEUR Intellectuel vs SCIENTIFIQUE (INDIVIDU)

- Définir le système de la recherche juste (ORGANISATION SOCIALE)

- Définir les modalités de GOUVERNANCE (PHILSOPHIE POLITIQUE)

- Définir les NORMES JURIDICO-ECONOMIQUES (figure de compromis)

- Définir les cyber-infrastructures adapté́es et leurs caracté́ristiques

- Définir les PRODUCTIONS SCIENTIFIQUES (REPERTOIRE D’OBJETS)


Lors de l’étape de codage axial, une autre catégorie a été mise en évidence qui englobe les différentes pratiques employées par les parties prenantes pour faire peser leurs propos. J’employais ainsi la catégorie « stratégies dans l’épreuve ». J’ai noté par exemple que certains acteurs faisaient appel de façon privilégiée au registre du pathos ou bien que, sur le site de la consultation, on retrouvait la plupart du temps une argumentation basée sur des chiffres pour peser dans le débat et produire une configuration des débats sous la forme d’une véritable « controverse technoscientifique ».


Extrait du codage axial sur N-vivo (catégories et propriétés en cours d’analyse) non définitive

Ce codage ne représente pas l’analyse définitive qui a pu être faite par la suite.

Stratégies dans l’épreuve :

- ARGUMENTER par la démonstration (logique ou par l’exemple)

- ARGUMENTER PAR LE CHIFFRE (Technoscience)

- Critiquer des idéologies : « C’est pas moi, c’est l’autre »

- Emouvoir : utiliser le pathos

- Redéfinir des notions

- Remettre en cause l’épreuve

- Se regrouper


D’autres catégories ont émergé au fur et à mesure des étapes du codage. La catégorie « perspective argumentative » m’a permis de comprendre comment, pour chacune de grandes facettes du régime des savoirs, des prises de positions distinctes ressortaient. Par exemple pour la propriété « défendre un modèle économique juste », les sous-propriétés définies étaient : « trouver un nouvel équilibre privé-public », « défendre une science publique » ou encore « défendre de nouveaux modèles économiques ». Ceci m’a permis de les rattacher par la suite à différentes conceptions du régime des savoirs et de faire un lien avec les esprits du capitalisme et les logiques de justification associées. Je me suis aidée pour cela des travaux de recherche présentée préalablement : les caractéristiques des cités (civique, industrielle, marchande, domestique, par projets).

Lors de cette étape, j’ai réalisé un tableau récapitulatif présentant cette grande catégorisation idéale-typique (cf. Annexes) qui a donné lieu à la structuration des quatre chapitres de l’analyse. Ce processus de codage et de catégorisation s’est fait au sein des mouvements de l’enquête avec l’ajout progressif au corpus d’autres éléments issus des autres espaces numériques où les acteurs se mobilisent (mouvement 2 sur la figure 10). L’analyse comparée des différents espaces m’a permis ainsi de voir que certaines perspectives argumentatives étaient utilisées de façon privilégiée dans certains espaces et par certains acteurs en particulier. D’autre part, j’ai remarqué qu’un même individu pouvait varier les perspectives qu’il mettait en avant mais aussi les manières de faire peser ses arguments et ce, en fonction des espaces où il s’exprimait. Une fois déterminé les grandes catégories et leurs caractéristiques, la dernière étape a consisté à effectuer le codage sélectif pour arriver à une modélisation et théorisation.

Codage sélectif et théorisation : au cœur de la présentation des résultats d’analyse

Le codage sélectif représente la dernière partie de l’analyse qui amène à la proposition d’une théorisation sous la forme d’une modélisation (un schéma) pour donner une interprétation au phénomène étudié. L’étape de codage sélectif est détaillée dans l’introduction de la partie trois et quatre (chapitres d’analyse cinq à huit)[97]. Cette introduction présente également plus en détail la cartographie de similarité des votes, « capture figée » de la situation des débats à la fin de la consultation. Cet « arrêt sur image » cartographique est utile afin de donner quelques points de repères nécessaires avant de plonger dans les méandres du projet de loi République numérique, et des échanges qui se sont déroulés sur des espaces et temporalités multiples.


CHAPITRE 4

[1] La start-up a ajouté aux métadonnées des articles open access le lieu de moissonnage. Aujourd’hui (2018), les sièges sociaux de la start-up sont basés à Luxembourg, à San Francisco et à Paris.

[2] Horizon 2020 est le programme-cadre pour la recherche et le développement coordonné par la Commission européenne. Le projet H2020 couvre la période de 2014 à 2020 et représente le 8ème programme-cadre. Voir : https://ec.europa.eu/programmes/horizon2020/

[3] J’ai par exemple été invitée à participer à une réunion en novembre 2015 organisée par le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation pour la mise en œuvre de l’open science en France. En 2017, une fonction de conseiller scientifique pour la science ouverte auprès du directeur général de la recherche et de l’innovation au Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a été créée.

[4] Plusieurs listes mails sont présentées dans les prochains chapitres. Par exemple la liste de discussion [acces ouvert], créée en 2013, dont l’objectif est de « rassembler la plus grande part des acteurs du libre accès dans le monde francophone pour leur permettre d’échanger idées et informations sur ce domaine ». Voir : ML Accès ouvert, Accesouvert - Liste de Discussion de La Communauté Du Libre Accès Francophone - Info, https://groupes.renater.fr/sympa/info/accesouvert

[5] Avec le projet « HackYourPhD aux States », j’ai réalisé plus de 30 interviews de chercheurs, entrepreneurs aux Etats-Unis impliqués dans l’open science

[6] Les livetweet consistent à tweeter en direct un événement en employant un hashtag (mot-dièse). Par exemple #JAO2015 a été employé sur Twitter lors des Journées Couperin dédiées à l’open access en octobre 2015. Voir : https://jao2015.sciencesconf.org/

[7] Voir : https://archive.org/search.php?query=creator%3A"HackYourPhD"

[8] Voir : https://storify.com/

[9] Pour faciliter la lecture, j’emploie par la suite l’expression « la consultation République numérique » au lieu de la consultation pour le projet de loi République numérique.

[10] Propos issus de la liste de discussion du réseau francophone des biens communs. Les échanges de cette liste de discussion font partie de mon corpus. J’indique entre crochet le nom de la liste. Lorsque les archives des listes de discussion ne sont pas accessibles, je n’indique en référence que la date du message et les premières lettres/mots du fil de discussion. Par exemple ici : ML SavoirsCom1, [SavoirsCom1]-Consultation..., [email protected] , 28 septembre 2015

[11] Gouvernement, Article 9 - Libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique, https://frama.link/article9_gouv , 26 septembre 2015, (consulté le 9 mai 2018)

[12] J’emploie les deux termes espaces/dispositifs, car, et je l’expose par la suite, je souhaite souligner par la distinction de ces deux termes deux façons distinctes de penser leur rôle dans l’épreuve.

[13] Les perspectives argumentatives et les stratégies dans l’épreuve sont deux expressions issues de l’analyse par théorisation ancrée. Je les définis dans l’introduction de la partie trois.

[14] [Echanges] Une Approche, [email protected] , 23 septembre 2015

[15] ML Accès ouvert, [Accesouvert] Open Access et Projet de Loi Numérique, https://groupes.renater.fr/sympa/arc/accesouvert/2015-09/msg00001.html , 1 septembre 2015, (consulté le 14 avril 2017)

[16] France Info, Axelle Lemaire : Le Projet de Loi Numérique En Consultation En Septembre, 2015

[17] Gouvernement, « Article 9 - Libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique », art. cit

[18] « [Echanges] Une Approche », art. cit

[19] Par la suite, dans la version promulguée le 7 octobre 2016, l’article 9 est devenu l’article 30. Voir : LOI n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/10/7/ECFI1524250L/jo

[20] Le terme de « plateforme » est employé pour dénommer le site web, mais je ne privilégie pas son emploi car, comme je le montre dans le chapitre huit, son usage est révélateur d’une conception spécifique.

[21] Loïc Blondiaux, Le Nouvel Esprit de La Démocratie : Actualité de La Démocratie Participative, Paris, Seuil, 2008, 109 p.

[22] Voir : https://www.debatpublic.fr/

[23] Pour cela, on peut se référer à la thèse de Clément Mabi « Le débat CNDP et ses publics à l’épreuve du numérique : entre espoir d’inclusion et contournement de la critique sociale ». Voir : Clément Mabi, Le Débat CNDP et Ses Publics à l’épreuve Du Numérique : Entre Espoirs d’inclusion et Contournement de La Critique Sociale, Université de Technologie de Compiègne, Compiègne, 2014

[24] Conseil National du Numérique, Rapport Ambition Numérique : Pour Une Politique Française et Européenne de La Transition Numérique., Paris, CNNum, 2015

[25] Voir : https://www.republique-numerique.fr/

[26] « [Echanges] Une Approche », art. cit

[27] Cap Collectif, Cap Collectif – Générateur d’intelligence Collective, https://cap-collectif.com/, (consulté le 1 août 2018)

[28] Gouvernement, « Article 9 - Libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique », art. cit

[29] J’emploie le terme « internaute » pour préciser que la participation n’est pas réservée aux seules personnes de nationalité française.

[30] Il est aussi possible de compléter son profil en ajoutant une photo ou bien une description.

[31] Pour désigner une personne inscrite sur le site web de la consultation République numérique, le terme générique de « membre » est employé.

[32] J’ai indiqué le « Gouvernement » entre guillemets pour souligner qu’il s’agit du nom de profil du gouvernement indiqué sur le site web de la consultation. Par la suite, je note seulement le gouvernement.

[33] Le nom et la photo de profil ont volontairement été cachés.

[34] La figure 6 montre que pour l’article 9, il y a eu en tout 3334 votes, 108 modifications, c’est-à-dire 108 propositions d’amendement, et 22 sources ajoutées. Et cela concerne seulement la version initiale du gouvernement. Si on regarde la modification présentée, on voit qu’elle a recueilli 1511 votes et 30 arguments.

[35] ML SavoirsCom1, « [SavoirsCom1]-Consultation... », art. cit

[36] Je détaille à la fois ces collectifs et les articles en question dans les chapitres d’analyse.

[37] Ibid.,

[38] Je détaille qui sont ces différentes parties prenantes dans le chapitre huit et reviens sur les modalités de mobilisation qu’elles mettent en œuvre (stratégies dans l’épreuve).

[39] J’indique cet extrait en entier car il est accessible directement en ligne sans nécessité d’être abonné.e à la liste. Pour les autres citations, où il est nécessaire de s’inscrire, j’ai demandé l’autorisation d’employer les extraits et ne nomme pas dans la citation l’ensemble de l’objet du fil de discussion. Pour tous les extraits, je ne désigne pas cependant les personnes qui s’expriment, juste le nom de la liste en question (cf. Introduction générale et introduction de la deuxième partie sur la posture de recherche.)

[40] ML Accès ouvert, Re: [Accesouvert] Open Access et Projet de Loi Numérique - Arc, https://groupes.renater.fr/sympa/arc/accesouvert/2015-09/msg00006.html , 1 septembre 2015, (consulté le 2 août 2018)

[41] L’usage du conditionnel ici et par la suite tend à souligner qu’il s’agit d’un avis, ce que je qualifie de perspective argumentative, énoncé par une personne ou une institution.

[42] Luc Boltanski, « Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination », Tracés. Revue de Sciences humaines, 2008, nᵒˢ 08, p. 17‑43

[43] J’emploie dans cette partie les termes d’État et de Gouvernement entre guillemets pour souligner qu’il s’agit ici de figures-types tout en ayant conscience de la diversité des prises de position au sein même des institutions.

[44] Le terme d’équipement fait écho au vocabulaire employé en SIC (cf. encadré du chapitre trois : Regard spécifique des SIC sur le ‘numérique’ et démarche par théorisation ancrée).

[45] Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification : les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991, 483 p

[46] Ibid., ; Sofiane Baba, « Vers un cadre conceptuel socio-constructionniste pour appréhender l’acceptabilité sociale », Éthique publique. Revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale, 2016, vol. 18, nᵒˢ 1

[47] Les visions du monde se rattachent à différentes conceptions d’économie et de philosophie politique qui sont détaillées dans les textes canoniques servant de référence à chaque cité (cf. 3-1-2).

[48] Francis Chateauraynaud, « La contrainte argumentative. Les formes de l’argumentation entre cadres délibératifs et puissances d’expression politiques », Revue européenne des sciences sociales. European Journal of Social Sciences, 2007, nᵒˢ XLV-136, p. 129‑148

[49] De La Critique : Précis de Sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard, 2009, 294 p.

[50] Ibid., p.117

[51] Olivier Alexandre, « Une sociologie de l’émancipation est-elle possible ? : À propos de De la critique de Luc Boltanski », Raisons politiques, 2010, vol. 39, nᵒˢ 3, p. 151

[52] F. Chateauraynaud, « La contrainte argumentative. Les formes de l’argumentation entre cadres délibératifs et puissances d’expression politiques », art. cit

[53] Ibid.,

[54] L. Boltanski, De La Critique, op. cit p. 124

[55] L’article 30 de la République numérique promulguée le 7 octobre 2016 est la version définitive de l’article 9. On peut noter deux grands changements par rapport à la version initiale proposée par le « Gouvernement » sur le site de la consultation République numérique : dans l’alinéa I initial , la réduction de la durée d’embargo à 6 mois pour les STM et 12 mois pour les SHS (contre 12 mois pour les STM et 24 mois pour les SHS), l’ajout de deux alinéas mentionnant les données issues d’une activité de recherche prises en considération par la loi (alinéa II) et la réglementation de leur réutilisation par rapport aux éditeurs (alinéa III). Voir : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/10/7/ECFI1524250L/jo

[56] J’ai énoncé dans le chapitre deux ma problématique ainsi : En quoi l’étude de l’open en sciences et des significations qui lui sont associées permet de mieux comprendre les reconfigurations actuelles du régime des savoirs avec les technologiques numériques ?

[57] L’ordre même de la démonstration de ce document a nécessité de faire des choix et de présenter de manière figée des éléments stabilisés en cours de recherche. Par exemple, dans le chapitre trois, les éléments théoriques présentés ont été choisis et stabilisés seulement au cours de la recherche.

[58] Adele Clarke, Situational Analysis: Grounded Theory After the Postmodern Turn, Thousand Oaks, Calif, SAGE, 2005, 409 p.

[59] Christophe Lejeune, Manuel d’analyse qualitative. Analyser sans compter ni classer, Louvain-La-Neuve, De Boeck Supérieur, 2014 ; Pierre Paillé, « L’analyse par théorisation ancrée », Cahiers de recherche sociologique, 1994, nᵒˢ 23, p. 147

[60] Jean-Christophe Plantin et Laurence Monnoyer-Smith, « Ouvrir la boîte à outils de la recherche numérique », tic&société, 2013, vol. 7, nᵒˢ 2

[61] Voir encadré dans la sous-section 3-2-2 : Regard spécifique des SIC sur le ‘numérique’ et démarche par théorisation ancrée.

[62] George E. Marcus, « Ethnography in/of the World System: The Emergence of Multi-Sited Ethnography », Annual Review of Anthropology, 1995, vol. 24, nᵒˢ 1, p. 95‑117

[63] Ibid., p. 96 traduction libre de : “from the single sites and local situations of conventional ethnographic research designs to examine the circulation of cultural meanings, objects and identities in diffuse time-space”.

[64] Christine Hine, Ethnography for the Internet: Embedded, Embodied and Everyday, London, Bloomsbury Publishing, 2015, 230 p.

[65] Dominique Cardon, « Le design de la visibilité », Réseaux, 2008, n° 152, nᵒˢ 6, p. 93‑137

[66] Je mets data en italique dans tout ce document. Le terme data est employé fréquemment aujourd’hui autant d’un point de vue technique (stockage), scientifique (mise au point de méthodes d’analyse de données de plus en plus massives), économique ou encore éthique (données à caractère personnel). Je présente quelques-uns de ces enjeux dans le chapitre huit.

[67] Hélène Bourdeloie, « Ce que le numérique fait aux sciences humaines et sociales », tic&société, 2014, vol. 7, nᵒˢ 2

[68] Nicolas Baya-Laffite et Jean-Philippe Cointet, « Cartographier la trajectoire de l’adaptation dans l’espace des négociations sur le climat », Réseaux, 2015, vol. 188, nᵒˢ 6, p. 159‑198 ; Jean-Édouard Bigot et Clément Mabi, « Une instrumentation numérique des sciences humaines et sociales », Les Cahiers du numérique, 2017, vol. 13, nᵒˢ 3, p. 63‑90 ; Anders Kristian Munk, Mapping Wind Energy Controversies Online: Introduction to Methods and Datasets, Rochester, NY, Social Science Research Network, 2014

[69] Voir : http://www.qsrinternational.com/nvivo-french

[70] A. Clarke, Situational Analysis, op. cit

[71] Guillaume Latzko-Toth, La Co-Construction d’un Dispositif Sociotechnique de Communication : Le Cas de l’Internet Relay Chat, Université du Québec à Montréal, Montréal, 2010

[72] Jean-Édouard Bigot et Clément Mabi détaillent la réflexion critique nécessaire à l’accompagnement de ces méthodes numériques dans l’article « Une instrumentation numérique des sciences humaines et sociales ». Un article que j’ai consulté a posteriori de la mise en œuvre de ma méthodologie (lors de la rédaction de ce document). Voir : J.-É. Bigot et C. Mabi, « Une instrumentation numérique des sciences humaines et sociales », art. cit

[73] Mathieu Quet, « L’art narratif dans les controverses globales », Hermès, La Revue, 2015, nᵒˢ 73, p. 39‑44

[74] Ibid.,

[75] Ibid.,

[76] Ibid.,

[77] Joëlle Le Marec, « Situations de communication dans la pratique de recherche : du terrain aux composites », Études de communication. Langages, information, médiations, 2002, nᵒˢ 25, p. 15‑40

[78] A. Clarke, Situational Analysis, op. cit

[79] I <3 Zotero :)

[80] Guillaume Latzko-Toth et Madeleine Pastinelli, « Par-delà la dichotomie public/privé : la mise en visibilité des pratiques numériques et ses enjeux éthiques », tic&société, 2014, vol. 7, nᵒˢ 2

[81] C. Lejeune, Manuel d’analyse qualitative. Analyser sans compter ni classer, op. cit

[82] P. Paillé, « L’analyse par théorisation ancrée », art. cit

[83] C. Lejeune, Manuel d’analyse qualitative. Analyser sans compter ni classer, op. cit

[84] P. Paillé, « L’analyse par théorisation ancrée », art. cit

[85] Ibid.,

[86] C. Lejeune, Manuel d’analyse qualitative. Analyser sans compter ni classer, op. cit

[87] ML Accès ouvert, Re: [Accesouvert] [Accestresouvert] Fwd: Re: [Ancmsp] Bienvenue Dans Le Monde Merveilleux de l’édition Scientifique mondialiséeŠ Ou Simplement Française - Arc, https://groupes.renater.fr/sympa/arc/accesouvert/2017-10/msg00000.html , 13102017, (consulté le 13 août 2018)

[88] Voir : https://jussieucall.org/#call

[89] P. Paillé, « L’analyse par théorisation ancrée », art. cit

[90] C. Lejeune, Manuel d’analyse qualitative. Analyser sans compter ni classer, op. cit

[91] Ibid.,

[92] Ibid.,

[93] P. Paillé, « L’analyse par théorisation ancrée », art. cit

[94] C. Lejeune, Manuel d’analyse qualitative. Analyser sans compter ni classer, op. cit p.73

[95] P. Paillé, « L’analyse par théorisation ancrée », art. cit

[96] Ibid.,

[97] J’ai distingué deux parties pour dissocier les conceptions « pré-numériques », des conceptions « numériques ».

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